Hey mademoiselle !

Publié le 13 décembre 2011 par Everobert @eve_robert

« Hey mademoiselle, mademoiselle, franchement t’es trop charmante !»

 

Combien de fois dans ma vie ai-je entendu cette phrase d’accroche complètement bidon. Combien de fois, je vous le demande. Ca va en général de pair avec un examen appuyé de mes fesses, mes hanches et mes seins (il existe une version Royale Deluxe où je me fais aussi siffler mais ça, c’est pas à tous les coups). Notons qu’une bonne dizaine de variantes imagées, telles que l’über-fumeux  « Ton père est un voleur etc etc » sont disponibles en rayon (l’humoriste Bérengère Krief les a recensées ici). J’ai l’impression que Paris est la capitale mondiale de ce genre de trucs.

Illustrations : Sarah, http://letraitquotidien.illustrateur.org/

Que faire ?

J’ai tout essayé, tout.

Prendre par surprise. « Hey, jeune homme, franchement t’es pas mal non plus, tu me files ton 06 ? »

Menacer avec poésie. « Tu m’abordes encore une fois comme ça dans la rue alors que j’ai rien demandé et je t’écrabouille le bulbe à la barre à mine » (ok mes bottes à talon et moi on mesure à peine 1,65 mètres mais quand je montre mes dents, je fais peur).

Éconduire poliment mais très fermement. « Aurais-tu, s’il te plait jeune homme, l’amabilité de remballer ta bite immédiatement ? Permet- moi d’attirer, en effet, ton attention sur le fait que tes chances de réussir à l’introduire dans mon vagin sont strictement nulles. »

Mais la conversation se termine invariablement par le grand classique : « Hey vas-y… sale pute ! ». Une seule façon d’y échapper, regarder ses pieds, et tracer sa route en bredouillant un vague  « euh oui enfin c’est gentil mais c’est-à-dire qu’en fait je suis pressée là je dois vraiment y aller ».

C’est un truc qui m’a toujours vachement interpellée, quand même. Bon sang, mais ils espèrent quoi au juste, ces types ? Peuvent-ils ignorer qu’on est en général dans la rue pour une bonne raison… comme aller quelque part  par exemple ? Pensent-ils que sous prétexte que c’est formulé comme un compliment, au fond, ça nous fait plaisir ?

Vous vous dites sûrement que je suis un peu virulente alors que ce n’est pas si grave, et que je devrais apprécier de me faire draguer. Sauf que :

Ce n’est pas de la drague.

Premièrement, je me demande si ces mecs espèrent réellement obtenir une réponse positive, un numéro de téléphone. Je n’ai jamais vu aucune de ces tentatives d’approches bidon réussir. Notamment parce que leur caractère standardisé et systématique est un gage d’absence totale de sincérité.

Mais peut être qu’ils s’entêtent dans l’idée que « ça peut marcher » parce qu’ils sont incapables de se mettre à la place d’une fille et de comprendre la peur que lui inspire le fait d’être abordée par un inconnu. Car pour une fille, derrière chaque relou, se cache une vague peur, la peur du viol et de l’agression. Au fond, l’inverse – une fille draguant les mecs dans la rue – serait certainement possible, voire très efficace, même avec des phrases d’accroche bidon ; parce que les possibilités d’interaction ne seraient pas limitées par la peur confuse et diffuse du viol et de l’agression.

Deuxièmement, ces tentatives d’interaction sont toujours non désirées et totalement asymétriques. La drague repose sur une certaine réciprocité : par un certain nombre de signes plus ou moins explicites, la fille est censée signaler son intérêt pour les avances qui lui sont faites, faute de quoi l’interaction prend fin. Contrairement aux relous dans la rue, qui n’attendent aucune réponse, aucune manifestation de consentement.

Ce n’est pas innocent

J’ai déjà évoqué la façon dont les femmes se sentent moins à l’aise dans l’espace public urbain que les hommes, en ont une pratique beaucoup plus restreinte, surtout le soir. La peur de l’agression, verbale ou physique, assignée à l’adolescence par des injonctions à ne pas trainer dehors, est omniprésente dans la perception qu’elles ont de la ville. Elles développent un sentiment de vulnérabilité, d’illégitimité à se trouver dans l’espace public.

C’est pour cette raison que les relous dans la rue sont des “milices du patriarcat”. Leurs interpellations permanentes rappellent aux femmes que l’espace public ne leur appartient pas ; qu’elles n’ont rien à faire seules dans la rue.

Bref je ne connais pas la raison personnelle, psychologique, qui pousse des centaines de mecs jeunes et moins jeunes à aborder les filles de cette façon (une certaine misère sexuelle ? le besoin d’éprouver, dans nos regards fuyants et nos pas qui s’accélèrent, le reflet de leur domination ?), mais par contre la signification SOCIALE du script hyper standardisé qu’on nous rejoue à chaque fois – même phrase d’accroche, même (absence de) réponse, m’apparaît assez clairement.

« Hey mademoiselle, mademoiselle, franchement t’es trop charmante !»

sous titre : Bonjour, je tiens à te rappeler que si tu n’as rien à faire seule dans un espace public car la rue c’est mon territoire. Par ailleurs puisque tu es seule, tu es forcément disponible et désireuse de te faire draguer, ce qui tombe bien puisqu’en tant que mec j’éprouve des besoins sexuels irrépressibles

La drague relou de rue n’est pas anecdotique ; il est temps d’en faire prendre conscience.