C’était une soirée comme une autre, autour d’une bière, avec des potes hétéros de gauche. Le genre de soirée “décontract” où on parle d’un peu tous les sujets de la terre : les élections, le taf, l’ambiance de la ville, et forcément, de cul. Ca a commencé avec les trans qui ont des problèmes psychologiques, pour en arriver à la rareté de l’orgasme féminin… des sujets normaux quoi, avec une analyse normale.
Mais la soirée se gâte quand, rejoignant un second groupe de mecs de gauche, j’évoque le précédent débat sur la transexualité qui dérive par des voies obscures sur l’homosexualité. Là, l’un d’eux me sort : “de toute façon les homos c’est déjà un peu des femmes”. Moment d’étonnement… What the… ??! Je demande calmement d’expliciter. ” Quand ils sont passifs, c’est déjà comme des femmes”. Ok, respire… Dans ces moments là, on n’a qu’une envie, c’est de lui balancer sa pint dans la gueule (ou ailleurs). Mais, la petite voix maso en vous se réveille et vous force à engager une discussion rationnelle en s’imaginant sérieusement que ça peut servir à quelque chose. D’abord il faut passer la phase de l’étranglement, avaler sa bière, et demander encore une fois des précisions. Non en fait c’était bien ça, les femmes sont passives et les hommes actifs, sexuellement. Toujours. Ah bon tu n’es pas d’accord ? Mais voyons, c’est l’homme qui pénètre !
A force de traîner avec des féministes, j’avais oublié que certaines personnes pensaient encore sérieusement comme ça.
La passivité de la femme…
A la base de tout ça, l’idée que le rapport sexuel = la pénétration = la supériorité masculine. Mon interlocuteur se défendra par la suite d’une hiérarchisation entre actif et passif, “c’est juste un constat”, mais on sait bien que le constat n’est pas tout à fait neutre. Jamais la passivité n’est plus valorisée que l’action, et ce, même hors contexte sexuel. Comme par hasard, l’un incombe au sexe faible, l’autre, au mâle dominant. A sa décharge, il n’a rien inventé. Pendant longtemps les femmes n’avaient pas de sexe du tout, avant de découvrir que celui-ci n’était qu’un pénis inversé interne, qui pouvait même parfois se mettre à bouger dans le ventre provocant ainsi des crises d’hystérie. Bref, une conception du corps humain un peu phalocentrée…
La psychanalyse en particulier s’est attaché à démontrer que les femmes étaient des êtres incomplets à la recherche du pénis perdu, qu’elles ne finissaient par retrouver que dans l’enfantement (spécial big up à Freud). Même l’apparition du clitoris n’a pas suffit à balayer totalement l’ignorance sexuelle. Pour des raisons évidentes de reproduction de l’espèce, mais aussi d’expression de la domination masculine, le rapport sexuel reste centré avant tout sur la pénétration.
Que le phallus occupe une place importante dans la sexualité des hommes n’explique cependant pas automatiquement en quoi ils seraient plus actifs que les femmes. D’abord, à moins que la pénétration ne soit un viol, elle ne peut se réaliser sans un minimum d’activité de la part de la femme. Faut tout de même une certaine volonté pour ouvrir son vagin… Et puis, sans aller jusqu’à oser imaginer des rapports hétérosexuels dépourvus de pénétration, la plupart des hommes normalement constitués apprécient volontiers une fellation. Acte pendant lequel ils ne sont pourtant pas “actifs”. Je n’ose même pas aborder la masturbation, et le clitoris… organe d’ailleurs tellement dérangeant qu’on continue de le mutiler chez des millions de femmes.
Ce fantasme de l’actif/ passif, largement renforcé par sa théorie jumelle du non orgasme féminin, ne sert donc essentiellement qu’à assoir et justifier la domination masculine. C’est l’homme qui prend la femme, qui la pénètre, qui détermine le rapport sexuel en fonction de son organe et de ses besoins.
… une donnée “naturelle”
La discussion avançant, (et les bières aussi), je comprends enfin le fondement suprême du propos. “C’est comme ça dans le règne animal”. Non, je n’étais pas au pub avec Eric Zemmour…
Cette affirmation n’ouvrait la porte qu’à deux options : soit on considère que l’humain est une espèce à part, formatée par des normes et une culture, et dans ce cas ce que font les animaux ne peut suffire à expliquer ce que nous faisons nous. Soit, on s’amuse à scruter tous les animaux pour voir qui est actif et qui est passif, mais dans ce cas, un seul contre-exemple suffit à détruire l’hypothèse de départ. A l’instar de Beauvoir dans le 2ème sexe, je me suis découvert une vocation ratée de zoologiste.
Il était plus facile de commencer par démontrer que les animaux sont tellement divers que leurs pratiques n’éclairent pas les nôtres. La démonstration débute avec les poissons qui n’ont pas de rapport sexuel à proprement parler. Ils balancent du sperme sur les oeufs pondus par la femelle afin de les féconder. Pas de rapport actif / passif donc… cela ne suffisant pas, il a fallu en faire appel à la mante religieuse et à l’hippocampe. La première dévore le mâle après l’accouplement, le second porte les oeufs et accouche à la place de la femelle. Est-ce que cela rend possible l’accouchement pour un homme humain ? Non. Alors, CQFD. Est-ce qu’il existe bien des femelles plus actives que les mâles ? Oui. Alors…
Evidemment, il n’a jamais voulu reconnaître qu’il avait tort. Il a tenté une esquive en réduisant le champ d’observation aux mammifères… (je n’analyserai pas ici le comportement masculin qui consiste en ne pas perdre la face devant une femme, qui se fait en même temps “calmer” par l’autre copain qui la trouve un peu têtue et agressive).
L’hétéronormativé, cette normalité oppressante
Certains pourraient s’étonner que je sois encore étonnée. Dans quel monde je vis à croire que le féminisme n’est plus un gros mot et que l’idée de construction sociale prend le pas sur les théories de la naturalité ? Mais moi ce qui m’étonne encore plus, c’est que ce soit moi qu’on essaie de calmer et pas celui qui dit de telles absurdités. Que lui, ou d’autres, puissent en toute tranquillité déverser sur le monde leurs concepts archaïques qui ne résistent pas une seconde à l’épreuve des faits et de la raison. C’est toute la puissance de la norme hétérosexiste… on l’entend tellement qu’elle ne choque plus, ne questionne plus. A force de répéter que les hommes sont naturellement comme ci, et les femmes naturellement comme ça (le comme ça étant forcément inférieur au comme ci), on crée un état de fait dont il devient impossible de sortir puisqu’il est “naturel”. L’histoire disparaît, la notion de culture aussi, et avec elles toute possibilité de remettre en cause le cadre normatif hétérosexiste. Tous nos actes s’imbriquent dans le grand ordre naturel voulu par Dieu et incarné jusque dans la reproduction des fourmis et des acariens.
” C’est tout le paradoxe féminin. Les femmes conduisent quand la vitesse est limitée ; elles fument quand le tabac tue ; elles obtiennent la parité quand la politique ne sert plus à grand-chose ; elles votent à gauche quand la Révolution est finie ; elles deviennent un argument de marketing littéraire quand la littérature se meurt ; elles découvrent le football quand la magie de mon enfance est devenue un tiroir-caisse. Il y a une malédiction féminine qui est l’envers d’une bénédiction. Elles ne détruisent pas, elles protègent. Elles ne créent pas, elles entretiennent. Elles n’inventent pas, elles conservent. Elles ne forcent pas, elles préservent. Elles ne transgressent pas, elles civilisent. Elles ne règnent pas, elles régentent. En se féminisant, les hommes se stérilisent, ils s’interdisent toute audace, toute innovation, toute transgression. ils se contentent de conserver.”
Cette phrase n’a pas été écrite par un curé du XVè siècle, ni par un taliban Afghan, mais par un “intellectuel français” contemporain. Je vous laisse deviner, sans trop de mal, lequel…