Bravo Monsieur Hollande ! La confirmation de la reconnaissance de la
responsabilité française de la rafle du Vel d’Hiv était une nécessité autant politique qu’historique. Il faut connaître les leçons du passé pour préparer l’avenir, « ne rien occulter des
heures sombres de notre Histoire ». Cité à cette occasion, Primo Levi rappelait amèrement : « Sauf exceptions, ils n’étaient pas des monstres ; ils avaient notre
visage. ».
Car il s’agit ici de l’un des épisodes les plus noirs de l’Histoire de France. Un événement horrible, qui a duré plusieurs jours, du 16 et 17 juillet 1942. Ce n’est pas si loin que cela. C’était
hier. Cela pourrait être encore demain. Il faut se le rappeler.
« Quand souffle l’esprit
de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l’exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains
partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d’une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance (…) qui nous anime doit se manifester avec plus de
force que jamais. En la matière, rien n’est insignifiant, rien n’est banal, rien n’est indissociable. Les crimes racistes, la défense de thèses révisionnistes, les provocations en tout genre, les
petites phrases, les bons mots, puisent aux mêmes sources. » (Jacques Chirac, 16 juillet 1995).
Alors que l’Allemagne nazie ne l’avait pas demandé, les autorités
françaises ont commis l’inadmissible. La cible était les Juifs, mais l’abomination aurait été tout autant la même si cela avait été les musulmans, les chrétiens, les sikhs, les homosexuels, les
communistes, ou que sais-je encore ? bref, une ou plusieurs catégories de la population nationale, de la communauté nationale (des Français !) pour ce qu’ils étaient et pas pour ce
qu’ils auraient fait.
Alors, oui, bravo Monsieur Hollande ! Je ne vous soutiens pas dans
votre politique de surfiscalisation de la classe moyenne et de refus des réformes pour permettre à
l’industrie française de repartir sur de bonnes bases, ni dans certains sujets essentiels de société,
mais j’applaudis des deux mains votre discours du 22 juillet 2012 sur la responsabilité française.
« La vérité, c'est que la police française, sur la base des listes
qu'elle avait elle-même établies, s'est chargée d'arrêter les milliers d'innocents pris au piège le 16 juillet 1942. C'est que la gendarmerie française les a escortés jusqu'aux camps
d'internement. La vérité, c'est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l'ensemble de l'opération. La vérité, c'est que ce crime fut commis en France, par la
France. » (François Hollande, 22 juillet 2012).
Ce que vous avez esquissé, ce n’est pas une rupture avec le quinquennat
de Nicolas Sarkozy, comme cela a pu être dit. C’est une rupture totale avec votre mentor, François Mitterrand, celui que vous avez su si bien imiter pendant votre campagne présidentielle mais qui a nourri
des amitiés douteuses (René Bousquet etc.), qui a alimenté un lien incertain avec Philippe Pétain
(francisque, gerbe de fleurs sur sa tombe etc.) et qui a finalement trompé les Français sur sa jeunesse personnelle (voir le livre de Pierre Péan à ce sujet). Vous imitez maintenant Jacques Chirac.
Le Général De Gaulle n’avait pas trompé ses concitoyens. À la Libération, il avait besoin d’une légitimité historique et devait forcément créer ce mythe que seule, sa France
était la France légale. C’était aussi une nécessité immédiate pendant la guerre, notamment vis-à-vis des Alliés américains (le risque était que la France passât sous administration américaine et
britannique comme une partie de l’Allemagne), un impératif du futur pour considérer la France dans le camp des vainqueurs et pas des vaincus (ce qui a permis d’avoir le droit de veto au Conseil
de sécurité à l’ONU).
Mais ce mythe fondateur allait contre la réalité historique. Il a fallu
le premier homme qui n’a pas pu combattre sous la Seconde guerre mondiale (car trop jeune) et qui a accédé à l’Élysée pour la reconnaître, cette réalité historique.
Dès le début de son premier mandat, le Président Jacques Chirac a en
effet prononcé le 16 juillet 1995 probablement le plus beau discours de sa longue carrière politique pour
donner des mots à l’infamie qu’a représenté la trahison de certains Français de livrer d’autres Français aux exterminateurs nazis (étrangers).
Il affirmait notamment, en évoquant les dizaines de milliers de
victimes françaises : « Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible. ».
Il était nécessaire qu’après un Président gaulliste, un Président
socialiste confirmât cette reconnaissance et cette responsabilité de l’État français afin que l’ensemble de nation se sentît durablement concerné.
Vous êtes allé loin en parlant de la France. Mais pas plus loin que
Jacques Chirac lui-même il y a dix-sept ans : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France,
ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. ».
Oui, Monsieur Hollande, vos propos sont sûrement discutables. Oui, il y
a eu, heureusement, des Français qui ont combattu les nazis, qui ont résisté, tous n’ont pas collaboré, très loin de ça, même. Certains ont lutté dans la Résistance, y ont perdu leur vie pour
nous libérer.
Mais vous l’avez rappelé aussi : « La vérité, c’est aussi que le crime du Vel d’Hiv fut commis contre la France, contre ses valeurs, contre ses principes, contre son idéal. L’honneur fut sauvé
par les Justes (…). Par tous ces Français qui ont permis que survivent les trois quarts des Juifs de France. ».
Cette guerre était aussi une guerre civile, Français contre Français.
Ce sont bien des miliciens français associés aux soldats de la Wehrmacht qui ont tué les jeunes maquisards français du Plateau des Glières. Ce sont des policiers français qui ont arrêté et déporté jusqu’aux enfants, quatre mille cent quinze enfants le 17 juillet 1942 (les nazis n’en demandaient pas
autant !), avec parfois un empressement insupportable qui soulignait une véritable opportunité pour
l’antisémitisme.
Car entre le 18 juin 1940 et le 25 août 1944, il y a eu deux France,
c’est pour cela que seul est discutable d’en parler d’une sans parler de l’autre : la France occupée et la France libre, la France de Vichy et la France de Londres, la France de Pétain et la
France de De Gaulle.
En disant : « La
vérité, c’est que la crime fut commis en France par la France. », vous avez donc raison, vous insistez sur le caractère suprême des actes commis au nom de la France, de la France légale
mais qui ne fut plus légitime car elle avait renié ses propres valeurs. C’est bien une part de la France qui a commis ces rafles d’horreur.
Le pouvoir de Pétain était malheureusement constitutionnellement plus
légal que celui de De Gaulle pendant la guerre. Aucun juriste ni historien ne pourra affirmer le contraire. On pourra toujours discuter de la légalité constitutionnelle douteuse des pleins
pouvoirs attribués à Pétain le 10 juillet 1940, mais ce semblant de démocratie parlementaire valait bien plus que la prise de pouvoir d’un général de brigade à titre provisoire, ancien secrétaire
d’État, qui n’a eu que l’onction de Churchill (et à peine de Roosevelt), donc seulement d’une (autre) force étrangère et sûrement pas d’une majorité de citoyens français.
L’État de droit a été bafoué dans ses valeurs fondatrices par le régime
de Pétain et les milliers d’enfants juifs sauvés par les Français, parfois des gendarmes ou des policiers français, ne compenseront jamais la déportation d’un seul enfant par une autorité
française comme cela s’est passé au Vel d’Hiv.
« Il est difficile
d’évoquer [ces journées de larmes et de honte], aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie
criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. » (Jacques Chirac, 16
juillet 1995).
À ceux qui s’interrogent sur la raison de "remuer" aujourd’hui, si
longtemps après, ces heures peu glorieuses, vous rappelez avec raison, Monsieur Hollande, le constat affligeant de l’ignorance des jeunes générations et l’importance essentielle du souvenir et de
la transmission : « Beaucoup de dérives trouvent leur source dans l'ignorance. Nous ne pouvons pas nous résigner à
ce que deux jeunes Français sur trois ne sachent pas ce que fut la rafle du Vel d'Hiv. (…) Il ne doit pas y avoir un seul établissement [scolaire] où cette histoire-là ne soit pleinement
entendue, respectée et méditée. Il ne peut y avoir, il n'y aura pas, pour la République, de mémoire perdue. J'y veillerai personnellement. ». Votre
engagement est fort et me réjouit.
Ceux qui refusent donc cette évidence historique, celle que les
autorités françaises régulièrement en place aient envoyé, avec un effroyable zèle, des Français à la mort certaine, ceux qui refusent cette réalité de la déportation, par des policiers français,
de ces soixante-seize mille personnes juives de France, en soixante-quatorze convois vers les camps d’extermination d’Auschwitz, ceux-là sont les mêmes qui accusent le Président François Hollande
de s’être couché devant une organisation juive, avec le toupet, qui plus est, d’en appeler à la France résistante !
Ces gens-là, j’espère qu’ils n’auraient aucune parcelle de pouvoir,
aussi petite soit-elle, si par malheur, la France devait revivre un même cauchemar.
« Taire l’antisémitisme,
le dissimuler, l’expliquer, c’est déjà l’accepter. ».
Oui, il s’agit bien de cela ; ne nous taisons pas !
Aussi sur le blog.
Sylvain
Rakotoarison (25 juillet 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte
intégral).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).
François Hollande.
Jacques
Chirac.
François Mitterrand.
Charles De
Gaulle.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-hollande-et-le-mythe-120434