La ressortie en blu-ray de l’un des westerns qui baignèrent mon enfance m’a poussé à revoir ma copie datant de l’époque du DVD.
Ce film est décidément une réussite majeure du western classique, fondée sur un scénario habile dont la morale repose sur cette phrase énoncée par le propriétaire du journal local : Quand la légende devient des faits (ou rejoint la réalité), nous imprimons la légende.
When legend becomes facts, print the legend.
Car il s’agit avant tout d’une œuvre sur ces légendes de l’Ouest, du temps où le chemin de fer ne traversait pas encore les Etats-Unis, où la paix avec les Peaux-Rouges était précaire et où les grands éleveurs faisaient tout leur possible pour préserver l’état d’open range afin de conserver la mainmise sur le bétail, au détriment des petits fermiers et en usant d’expédients plus ou moins légaux. Mais un temps qui touche à sa fin : il est désormais l’heure pour les pionniers forts en gueule, intrépides et rapides de la gâchette, de laisser la place aux modestes qui vont bâtir la Nation, à ces petites gens laborieux sans lesquels rien de durable ne peut s’établir. Malheureusement, dans ces contrées, la Loi était bien souvent un vain mot, une réalité illusoire dont les représentants faisaient ce qu’ils pouvaient pour l’appliquer tout en ménageant les susceptibilités des potentats locaux ou des fortes têtes. Certes, le shérif de Shinbone est risible (bien qu’éminemment sympathique), mais l’ingérence d’un hors-la-loi comme Valance dans la destinée d’une petite contrée et la façon dont il terrorise la population est tout à fait plausible. Il est question, encore une fois, du combat de la plume contre l’épée ou : comment réinscrire un territoire quasi-sauvage dans la Loi et l’Ordre ? Le discours moralisateur a-t-il le même impact qu’un coup de revolver bien placé ?
J’aime le parallèle évident entre l’ascension de Ransom (qui arrive complètement démuni à Shinbone) et celle de Peabody, pourtant déjà établi mais qui tire de ce jeune idéaliste venu de l’Est l’énergie nécessaire pour mettre en valeur son instinct de journaliste poussiéreux. Pourtant, le risque qu’ils encourent en remettant constamment en question l’autorité naturelle du hors-la-loi est patent, seulement l’un se réfugie derrière des textes juridiques en lesquels il continue tant bien que mal à avoir foi – jusqu’à ce qu’un drame lui fasse renier ses principes – tandis que l’autre puise sa force dans l’alcool (à moins qu’il n’y oublie sa peur).
John Ford nous livre un spectacle haut en couleurs (mais paradoxalement en noir & blanc – ce fut son dernier dans ce cas -, afin de mieux souligner sans doute ce qui apparaît comme un enterrement de première classe du genre qu’il a chéri au point de lui donner ses lettres de noblesse). Mais contrairement à ses œuvres précédentes, il est resté modeste dans le cadrage et signe un film de studio, presque austère, d’une élégance rare, à la mise en scène très fluide et dont la très belle photo, rehaussée par une remasterisation admirable – quoique peut-être encore inférieure à la restauration de Casablanca - délivre une image d’une puissance expressive peu commune. Pour la partie son, j’ai testé la piste VO Dolby True HD qui n’apporte rien de spectaculaire mais permet une meilleure spatialisation, tout en évitant le côté nasillard de la bande mono. Dommage que ce support ne nous propose pas de bonus outre les nombreuses pistes sonores
Des acteurs au diapason d’une histoire prenante, avec un James Stewart toujours habité, passant de l’assurance d’un sénateur accompli aux doutes d’un jeune avocat tombé de haut ; John Wayne, qui fait une cour timide à Hallie et voit petit à petit celle-ci se tourner vers le frêle homme de loi, est très juste et éclabousse l’écran, même s’il n’apparaît pas dans beaucoup de scènes. Il ne pourra que regretter, et bien amèrement, n’avoir jamais su déclarer directement sa flamme tout en croyant dur comme fer qu’elle s’établirait avec lui. Comme d’habitude chez Ford, une multitude de seconds rôles savoureux gravitent autour de ces personnages, parmi lesquels l’inénarrable sheriff, un gros couard ne pensant qu’à manger des steaks gigantesques et à protéger sa nombreuse famille : comment oublier la rapidité phénoménale avec laquelle il engloutit sa portion ? Ma préférence va toutefois à Edmond O’Brien, qui interprète Peabody, le patron de presse local constamment ivre (c’est à dire aussi souvent que le médecin du coin) mais capable de fulgurances oratoires inimitables. On remarquera les apparitions de Lee van Cleef et de John Carradine.
Un très grand film, intelligent et sensible. Un western crépusculaire monumental.
Ma note (sur 5) :
4,9
The Man who shot Liberty Valance
Mise en scène
John Ford
Genre
Western
Production
Paramount
Date de sortie France
3 octobre 1962
Scénario
James Warner Bellah, Willis Goldbeck & Dorothy M. Johnson d’après sa propre oeuvre
Distribution
James Stewart, John Wayne, Vera Miles & Lee Marvin
Durée
123 min
Support
Blu-ray Paramount region B (27 juin 2012)
Image
1.78 :1 ; 16/9
Son
VOst DTS 5.1
Synopsis : L’histoire commence à Shinbone, une petite ville de l’Ouest. Le sénateur Stoddard (James Stewart), homme distingué à la voix gouailleuse d’orateur accompli, en descend accompagné de sa femme Hallie (Vera Miles). Les marques de respect que lui témoignent les habitants attirent l’attention d’un jeune reporter qui se décide à lui demander une interview. Mais le sénateur tient avant tout à venir aux funérailles très discrètes d’un certain Tom Doniphon, auxquelles assistent également l’ancien shériff de la ville et un grand Noir triste. Devant l’empressement des journalistes, Stoddard accepte ensuite de révéler le but de sa venue : il racontera alors son histoire, c’est à dire comment il est devenu ce sénateur respecté et adulé, et le rôle qu’a joué Tom Doniphon (John Wayne) dans sa vie. Nous revoilà plongés quelques dizaines d’années en arrière : Ransom Stoddard n’était alors qu’un jeune avocat de l’Est cherchant à se faire un nom dans les territoires de l’Ouest, avec 14,80$ en poche et des livres de Loi en main. Las, avant même d’arriver à Shinbone, sa diligence se fit attaquer par un certain Liberty Valance (Lee Marvin), une brute sadique qui faisait régner sa propre loi dans la région. Ransom tenta bien de s’interposer, mais il se fit battre comme plâtre. Soigné par Hallie qui voyait en lui un preux chevalier, il se fera un nom dans la petite ville en devenant instituteur et journaliste, refusant dans un premier temps l’aide de Tom Doniphon, robuste gaillard qui était le seul à ne pas trembler devant Valance. C’est que Ransom a toujours foi en ses principes de morale et de Justice et réprouve l’utilisation de la moindre arme à feu. Seulement, lorsque Valance reviendra en ville, il comprendra vite que les mots et les principes n’ont aucune valeur dans cet Ouest encore sauvage…