On peut réprimander les banques, ou les enfants. Mais tant que les politiciens vont jouer à papy et mamie, le problème va empirer. Un jour ou l’autre, il faudra changer de stratégie.
Par David Descôteaux, depuis Montréal, Québec.
Les parents ou les psys qui s’inquiètent de la prolifération d’enfants-roi devraient jeter un œil sur le monde de la finance. Ils verront ce qui arrive, à long terme, quand on gâte et pourrit ces grands bébés.
Plusieurs scandales font surface ces jours-ci. Les milliards $ perdus par la banque JP Morgan, et cachés par ses courtiers. La manipulation des taux d’intérêt (Libor) par plusieurs grandes banques — sous le regard complice du gouvernement, soulignons-le. Et le blanchiment d’argent criminel par la banque HSBC.
Mais doit-on vraiment s’en surprendre ? Quand les politiciens décident que les contribuables vont sauver le cul des banques quoiqu’il arrive, cela entraîne des conséquences.
Bébés gâtés
Dans son livre A capitalism for the people, l’économiste Luigi Zingales illustre avec brio ce problème d’« aléa moral ».Imaginez que vos enfants se comportent mal. Vous essayez de les discipliner, mais chaque fois, leurs grands-parents arrivent et les « sauve ». Pour acheter la paix, et préserver l’harmonie familiale.
À court terme, leur intervention semble bénéfique. Les enfants sont contents, personne ne pleure, et la belle journée se poursuit. Mais à long terme ? On se retrouve avec des enfants gâtés pourris, et des parents malheureux.
Le lien avec la politique ? Les grands-parents ont une motivation à gâter leurs petits-enfants, poursuit Zingales : la gratitude de ces derniers, et la paix temporaire. De plus, mamie et papy ne subiront pas les conséquences à long terme des comportements impunis des enfants — puisqu’ils sont rarement à la maison, et qu’ils vont mourir bientôt.
De la même façon, les politiciens sont heureux de sauver les banques ou les pays qui dépensent trop. Car ils en profitent. C’est rentable politiquement d’avoir une économie qui donne l’impression (artificielle) de bien aller. Les politiciens profitent aussi de la gratitude des banquiers « sauvés », surtout lorsque viendra le temps de se trouver un emploi dans le privé… Et comme les grands-parents, les politiciens risquent peu de souffrir des conséquences à long terme de leur geste. Ils ne seront plus au pouvoir quand ces conséquences se produiront.
De pire en pire
Mais comme avec les enfants, si vous refusez de laisser le marché punir les mauvais comportements financiers, vous ne ferez qu’empirer la situation. Le capitalisme repose sur le principe qu’un individu doit subir les conséquences de ses erreurs. Sinon, jamais il n’apprendra.
Cette « politique de sauvetage », note Zingales, a commencé en 1994. Lors du sauvetage de l’économie mexicaine et du Peso. (Et surtout, des banques américaines, qui avaient prêté des milliards à ce pays.) Ce geste — et la promesse implicite de futurs sauvetages — a éliminé la peur chez plusieurs prêteurs et PDG. Grave erreur. La peur est un élément clé pour discipliner les décisions financières, rappelle l’auteur.
Résultat : aujourd’hui, l’aide gouvernementale est une drogue, dont le système financier est accroc, écrit Zingales. Arrêtez de lui en donner, et la panique s’empare des marchés. Sauf que, comme un junkie, le système financier en réclame toujours plus. Jusqu’au jour où ce sera impossible pour l’État de le sauver.
Vous vous souvenez de 2008 ? On disait qu’il fallait sauver les banques américaines, car elles étaient « trop grosses pour tomber ». Devinez quoi ? Aujourd’hui, elles sont 23% PLUS grosses qu’il y a 5 ans… selon le professeur Neil Barofsky, qui a lui-même supervisé le plan de sauvetage des banques en 2008.
On peut réprimander les banques, ou les enfants. Mais tant que les politiciens vont jouer à papy et mamie, le problème va empirer. Un jour ou l’autre, il faudra changer de stratégie. Et laisser le marché sortir sa strap.
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