Bien qu’une trentaine d’exemplaires soient toujours en service, le Buffalo canadiens est bel et bien oublié. Ce bimoteur de transport militaire, il est vrai, n’a pas été au-delà du succès d’estime, alors qu’il aurait mérité mieux : à peine 120 exemplaires construits. Il affichait pourtant des qualités de décollage et atterrissage courts impressionnantes, ce qui lui permettait de se poser partout, avec une quarantaine d’hommes armés, les charges utiles les plus diverses, ou encore de se prêter à d’audacieuses missions humanitaires.
Entre autres utilisateurs, les Forces canadiennes alignent encore quelques appareils de recherche et de secours basés en Colombie britannique, connus sous l’appellation CC-115, et qui continuent de rendre de grands services (notre illustration). D’où l’idée de Viking Air de tenter d’en relancer la production, dans une version modernisée dotée de nouveaux moteurs et d’un cockpit numérique.
Viking Air (450 personnes) détient l’ensemble des droits de production de la gamme d’un constructeur qui eut son heure de gloire, The de Havilland Aircraft of Canada, à son origine filiale de la société de Havilland anglaise (1), a notamment conçu et produit à 800 exemplaires, à partir des années soixante, le bimoteur Twin Otter, tout à la fois mini avion de ligne à 19 places et camionnette de l’air, à l’aise dans les utilisations les plus diverses et, par exemple, dans les froids du grand nord.
Il y a longtemps que la fabrication en est arrêtée, créant un manque en même temps que des vocations, à commencer par le projet français Skylander de Geci, de même catégorie, intentionnellement aussi simple et robuste que possible, mais qui risque malheureusement de rester lettre morte, faute d’investisseurs suffisamment généreux. D’autres candidats tentent leur chance sur ce même marché dont le Dornier 228 (même catégorie, même époque, performances similaires) que s’efforce de relancer la société suisse Ruag. Le Twin Otter Next Generation connaît un certain succès, Viking l’a vendu dans seize pays, dont la Chine.
Cette manière de faire pourrait être rééditée avec le Buffalo. Après un premier tour de piste effectué en 2008, on croyait l’idée abandonnée mais le projet bénéficie aujourd’hui d’un regain d’actualité. Il est vrai que les CC-115 jaunes de la 19e escadre de transport et de sauvetage des Forces canadiennes rappellent au quotidien ses grandes qualités. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il retrouverait des acheteurs en cas de relance, sachant que la concurrence serait rude, notamment celle du C-27J italien.
La manière de faire de Viking Air incite à la réflexion. Elle semble indiquer, en effet, qu’un petit avion bien classique, entièrement métallique et ignorant de ce fait les matériaux composites, peut reprendre une configuration, les calculs, l’aérodynamique, établis il y aura bientôt 50 ans. Seule l’électronique serait introduite à bord, chassant l’analogique, et un type récent de turbopropulseur conçu par Pratt & Whitney Canada remplacerait un moteur américain qui a désormais fait son temps.
Une belle leçon de modestie en quelque sorte, en même temps qu’un rappel à l’ordre. En effet, hors programmes majeurs de l’ampleur des 787 et autres A350, l’aviation aurait-elle finalement évolué un peu moins vite qu’on le dit habituellement ? La réalité est sans doute plus mesurée : on peut faire du neuf avec de l’ancien pour d’autres raisons. Notamment pour diminuer la mise de fonds initiale et s’assurer d’un confortable retour sur investissement.
Heureusement, les objectifs de Viking Air sont probablement plus nobles. Mais là-bas, à Sidney, British Colombia, peut-être les financiers n’ont-ils pas encore pris le pouvoir aux dépens des aviateurs. Aussi la seconde jeunesse du Twin Otter, celle annoncée du Buffalo, constituent-elles de petites opérations industrielles qui suscitent la sympathie.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) A noter qu’il faut écrire de Havilland avec un «petit de».