Avec Usual suspect, Bryan Singer s’est imposé comme un des réalisateurs clefs de l’Hollywood de la fin des années 1990. Il a ensuite enchaîné les succès, avec les X-Men et autres Superman returns. Mais avant cela, il avait réalisé Ennemi public, un premier film marquant et surprenant qu’il est urgent de redécouvrir.
Sorti en 1993, salué par la critique et honoré de plusieurs prix – dont le Grand prix du Festival de Sundance et le Prix du Jury du Festival du film américain de Deauville – le film a pourtant eu une carrière plus que minimale. Mal distribué aux USA, uniquement sorti dans les réseaux Art & Essai en France, il n’a pas trouvé son public. Même aujourd’hui, l’amateur non-anglophone aura du mal à trouver de quoi satisfaire sa curiosité : le seul DVD existant en langue française n’offre qu’une VF maladroite et une image assez dégueulasse. Certes il n’est pas cher mais bon…
Malgré ces conditions de découverte pas franchement idéales, le film dégage un charme indéniable, grâce à ses acteurs, d’illustres inconnus qui gagneraient à être découverts, et à son intrigue, que Bryan Singer conduit de main de maître jusqu’au dénouement.
Un homme à l’allure de gendre idéal (Ron Marquette) s’installe dans une petite ville reculée et achète à la TV locale le droit de présenter une émission à l’heure de plus grande écoute. Prétendant donner la parole aux habitants, il transforme petit à petit ce rendez-vous télévisuel en espace d’expression où chacun peut dévoiler ses frustrations, et amène des citoyens un peu lâches à devenir des délateurs anonymes.
Il bouge tranquillement et lentement ses pions, en développant un climat de plus en plus anxiogène, et il prend un plaisir certain à diffuser son venin dans la ville en se souciant peu des déchirures qu’il engendre.
L’absence de morale de l’oeuvre est manifeste : Le malfrat atteint son but sans mal, même si son plan est parfois malmené. Une magnifique fin ouverte signe son succès et fait de ce film à la fois un réel sommet du polar claustro, mais aussi un formidable brûlot anti-manipulation télévisuelle.
Empli d’une tension dévorante, installant une ambiance parfaite, poisseuse et lourde à souhait, Ennemi public signe la naissance d’un auteur.
Bryan Singer confirmera par la suite la plupart des espoirs placés en lui suite à ces débuts remarqués, mais il empruntera les sentiers un peu mieux balisés du système hollywoodien. Sans doute parce que sa démarche n’a pas rencontré le succès public escompté, le cinéaste s’est ainsi définitivement éloigné de ce qui constituait le charme et l’originalité de ce premier long : une approche peu conventionnelle du genre, assez curieuse, au rythme atypique. Dommage, cette approche mériterait d’être réexploitée…
On ne peut parler d’Ennemi public sans saluer la performance de Ron Marquette, acteur au visage particulier, qui porte le film sur ses épaules sans jamais faiblir, réussissant à dégager à la fois un certain charisme, un paternalisme apaisant et un malaise permanent. Il décèdera malheureusement un an après la sortie du film. N’ayant joué que dans d’obscures séries télévisées et des direct-to-video, il est aujourd’hui totalement inconnu.
Découvrir cet oublié des caves de Hollywood est une raison supplémentaire de s’intéresser à ce film à la thématique plus que jamais pertinente.
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Ennemi public
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Réalisateur : Bryan Singer
Avec : Ron Marquette, Dina Brooks, Burt Williams, Leigh Hunt, John Renshaw , Jennifer McManus
Origine : États-Unis
Genre : Manipulation anxiogène
Durée : 1h30
Année de sortie France : 1993
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