Le correspondant du Monde à New York vient de publier un long article : on y découvre la stratégie désormais assez publique des États-Unis au sujet de la Syrie. Ce qui mérite d'être apprécié.
1/ Cet article rend public ce que je susurrais dans un billet récent : les États-Unis soutiennent, en sous-main, les insurgés : on parle ici de "soutien logistique" (et notamment la "fourniture aux insurgés de photo satellites des mouvements de troupes") : cela signifie que les contacts sont établis avec le commandement de l'armée syrienne libre, et donc qu'elle a été suffisamment structurée pour mener désormais des opérations coordonnées. Ainsi s'explique par exemple la simultanéité des attaques à Damas, de l'attentat contre le ministre de la défense et maintenant des combats à Alep.
2/ Restons prudent avec l'agitation encours autour des armes chimiques : la plupart du temps, il s'agit de mesures de propagande pour faire monter l'émotion, et donc la pression.
3/ On notera que l'article écrit clairement "pour les fournitures d'armes aux insurgés, Washington dépend de ses relais régionaux, la Turquie et le Qatar en premier lieu". Je me demande sil ne faut pas inverser la proposition : ce ne sont pas les États-Unis qui ont une ligne politique dans la région, mais leurs alliés régionaux qui leurs demandent de les soutenir, ce que les Etats-Unis font à moindre coût. Autrement dit, la Syrie n'est pas leur priorité, et ils cherchent juste à éviter de trop grosses répercussions, surtout en année électorale, alors qu'ils sont en plein désengagement d'Asie centrale et qu'ils n'ont aucune envie de se coller au Proche Orient.
4/ Ceci explique que leur obsession est celle du chaos :
- chaos intérieur : avec la fragmentation du pays. même s'ils sont en train de se rendre compte qu'elle est inéluctable : au pire, la bande alaouite côtière s'établira en Liban bis, tandis que les Kurdes de Syrie viennent déjà de prendre leur autonomie : appuyés par leurs cousins d'Irak, ils viennent de prendre leur envol... (voir article)
- chaos extérieur : avec l’extension crainte du conflit à la Jordanie et au Liban (afflux de réfugiés, déstabilisation politique, ...). Sans même parler d’Israël....
5/ Aussi, alors que le grand Maghreb tend à se calmer après les révoltes de l'an dernier, voici que le grand jeu a repris au Proche et au Moyen-Orient. A ceci près qu'aux calculs des uns (lutter contre l'établissement d'une continuité chiite au nord de la zone, et rétablir un verrou sunnite, voir billet) risque de s'opposer une réalité nouvelle : le diable étant sorti de la boite, il ne va pas y rentrer comme ça.
6/ En effet, "Un démantèlement de la Syrie émergée du partage colonial du Moyen-Orient au lendemain de la première guerre mondiale pourrait 'ouvrir un chapitre complètement neuf pour l'histoire de la région'". C'est effectivement bien le moins. Constatons au passage que cela fait plusieurs pays qui veulent remettre en cause les résultats de la première guerre mondiale (par exemple ce billet). Mais qu'avant celle-ci, il y avait un empire ottoman ! Et que si "pour Washington, l'idéal consisterait en une force sous leadership turc bénéficiant du soutien affiché de la ligue arabe", c'est ne pas comprendre les mauvais souvenirs laissés par ledit empire ottoman, et particulièrement à ses confins immédiats (ce qui explique en partie la discrétion du Liban sui retient son souffle de toutes ses forces). Un État syrien tronqué dirigé par une majorité sunnite relative , sans Alaouites à l'ouest ni Kurdes au Nord-Est, et avec des minorités de tous sortes, appuyé par une force de "maintien de la paix" à dominante turque.... voici une idée saugrenue....
7/ Ah... et l'Europe ? Ben rien. Partagée selon son clivage habituel entre vertueux (Allemagne, Suède : vive le droit international humanitaire) et réalistes (France, Royaume-Uni : il y a la guerre, il faut faire qq chose). Résultat : rien. Ce n'est pas un défaut de la PSDC, c'est tout simplement qu'il n'y pa pas de politique du tout.
O. Kempf