RDCongo : Nouvelles coupures, solution à la dollarisation de l’économie ?

Publié le 02 juillet 2012 par Unmondelibre
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Le lundi 02 juillet la République Démocratique du Congo lance des nouveaux billets à valeur faciale plus élevée, dans un premier temps avec des coupures de 1.000, 5.000 et 10.000 Francs Congolais. Parmi les raisons avancées, comme toujours (i) comprimer les coûts d’impression des signes monétaires (ii) faciliter la comptabilisation et le dénouement des transactions (iii) dédollariser l’économie (estimant que la dollarisation pose de sérieux problèmes à la Banque centrale, notamment le fait que la monnaie nationale soit reléguée au rang de sous-multiple du dollar américain, rendant la politique monétaire inefficace).

Cette stratégie est loin d’être un nouveau projet : déjà en août 2004, lors de la présentation officielle du plan stratégique du développement de la Banque Centrale du Congo et du Système National des Paiements, l’autorité monétaire avait annoncé dans le volet politique monétaire, l’élargissement de l’éventail fiduciaire par l’introduction de coupures à valeur faciale élevée.

Réussira-t-on à résorber la dollarisation par cette simple décision ?

La dollarisation de l’économie congolaise est essentiellement le résultat inéluctable d’une décennie marquée par l’hyperinflation où l’autorité monétaire n’a pas été en mesure de garantir la qualité de la monnaie [1], c’est-à-dire son aptitude à sauvegarder durablement la stabilité des prix et à susciter la confiance des agents économiques pour qu’ils utilisent la devise dans leurs transactions commerciales et financières.

Cependant, après la disparition de l’hyperinflation en RDC depuis le début du nouveau millénaire, la dollarisation se maintient, voire s’accentue. Pour preuve, le ratio de dollarisation au sens strict s’est situé à plus de 65% en 2011. Le ratio de dollarisation au sens large, c’est-à-dire le rapport entre les liquidités en monnaies étrangères (essentiellement les dollars américains) et l’ensemble des moyens de paiements dans l’économie, s’est établi à 87,0% en 2007 contre 83,0% en 2002. Et en 2009, elle serait de 89%.

La configuration fiduciaire actuelle est, selon les autorités monétaires, totalement inadaptée aux évolutions récentes de l’économique, ne fût-ce qu’en termes de prix (les prix sont fixés en devises étrangères, etc.) et cela anémie en partie l’octroi de crédits en monnaie nationale (lors de la levée de fonds, le problème de commodité, etc.) et le dénouement de certaines transactions. Cette situation est exacerbée par l’absence d’infrastructures financières en monnaie nationale. Mais l’étoffer en y ajoutant d’autres coupures à valeur faciale élevée ne nous semble pas suffisant. Il est d’ailleurs assez étrange de constater qu’en règle générale la discussion sur la dédollarisation ne refait surface que dès lors qu’on aborde la problématique du lancement des coupures…

Du reste, dédollariser l’économie congolaise ne peut être véritablement obtenu par l’émission de valeurs faciales élevées, lesquelles par ailleurs comportent un effet psychologique inflationniste dont cette émission est génératrice au vu de l’expérience congolaise. En outre, beaucoup ont caressé l’illusion qu’il fallait simplement réussir la désinflation pour regarder tranquillement la dollarisation se volatiliser. Les travaux récents, notamment ceux de Savastona, Reinhart et Rogoff [1][2], le démentent sérieusement. Et c’est ce à quoi on assiste en RDCongo : la désinflation n’a pas entraîné pas la dédollarisation.

Les mêmes travaux ont établi, entre autres, comme pistes pour réduire la dollarisation, qu’il fallait soit baisser la dette publique en devises étrangères émise localement soit baisser la part des dépôts en devises de la masse monétaire au sens large. Ces économistes observent par ailleurs que ces mesures doivent être encadrées, c’est-à-dire appliquées dans le cadre d’une stabilité macroéconomique pérenne, etc.

L’hystérésis de la dollarisation, tendance pour un pays dollarisé à le rester longtemps après la disparition des raisons – apparentes - qui l’ont justifiée, n’est pas en soi une surprise quand on sait qu’elle est notamment fonction de l’historique de l’inflation, de l’historique de taux de change, etc. Et c’est le cas de la RDC, qui s’est illustrée négativement dans son passé. Une autre raison tient au comportement persistant qui entre dans la catégorie des mesures d’encadrement auxquelles font allusion Reinhart et Rogoff : l’incertitude. Dans une étude empirique récente, le macroéconomiste congolais Sasse Kembe[4] conclut en écrivant : « Il en découle que le niveau des taux d’inflation n’explique pas celui de la dollarisation. C’est plutôt l’incertitude due à l’inflation ainsi que la volatilité associée… qui déterminent la forte désirabilité des devises étrangères observée en RDC… ». Et les travaux récents de l’économiste congolaise Brigitte Nkoo mettent en évidence une autre explication de la persistance de la dollarisation : l’effet prestige. Beaucoup de congolais se sentent en effet « valorisés » en détenant des devises étrangères.

Ainsi, ce changement au niveau fiduciaire, loin de constituer une solution miracle à la dédollarisation de l’économie, peut, cependant, constituer un préalable non moins négligeable pour entamer le processus de dédollarisation, mais à condition de prendre les mesures d’encadrement nécessaires pour éviter les dérapages éventuels. Il n’est pas, à notre avis, la condition suffisante. Y placer trop d’espoir reviendrait à se bercer d’illusions.

Oasis Kodila Tedika et Benedict Konso le 1er juillet 2012. Oasis Kodila tedika et Benedict Konso font partie de l’Université de Kinshasa, Département de sciences économiques,

[1] Cavallo 1999, La qualité de la monnaie, Economie internationale, 80, p.103-118.

[2] Savastona, Reinhart et Rogoff (2003) « Addicted to Dollars », NBER Working paper 10015.

[3] Reinhart et Rogoff (2009) : This Times is Different. Eight centuries of financial folly, Princeton Univ. Press.

[4] Sasse Kembe (2012) « Dollarisation, inflation et incertitude en R.D.CONGO : une modélisation hétéroscédastique », Cahiers économiques et sociaux.