Devoir de réserve : un sous-préfet est limogé par le Ministère de l'Intérieur
pour avoir tenu des propos anti-israéliens. Cette décision et cette information méritent de se pencher sur les faits évoqués. Qu'est-ce que des propos anti-israéliens ? En quoi constitutent-ils
une atteinte au droit de réserve auquel sont astreints les fonctionnaires et plus spécifiquement les représentants de l'Etat ? A quoi se réfère-t-on lorsqu'on parle du devoir de réserve ?
Une fois encore, il est fait démontration que la liberté d'expression a des limites qu'il faut pouvoir apprécier à sa juste valeur. Le
sous-préfet de Charentes Maritimes, basé à Saintes, Bruno Guigues, a été limogé suite à un billet posté sur le site d'information Oumma.com spécialisé dans l'information sur l'islam. L'article du
sous-préfet, publié depuis le 13 mars 2008 [et toujours disponible] est intitulé « quand le lobby pro-israélien se déchaine contre l'ONU ». L'objet central de la diatribe reprochée au sous-préfet est apparemment relatif à un article paru dans le journal Le Monde le 27 février 2008
lui-même intitulé « L'ONU contre les droits de l'homme ». Mais d'emblée, l'auteur sanctionné donne le ton en indiquant de manière provocatrice que le quotidien a offert ses colonnes de manière
généreuse « à un texte d’une hystérie verbale et d’une mauvaise foi insondables » dont la liste des auteurs est évidente tant « l’omniprésence des intellectuels
organiques du lobby pro-israélien nous est devenue familière. » Et l'attaque du fonctionnaire contre le texte se poursuit au fil des lignes la qualifiant de « prose
haineuse » .
Il est vrai que le thème de l'article du journal Le Monde s'attaque à un sujet délicat : le risque de dérive des instances
internationales, et plus spécifiquement le Conseil des Droits de l'Homme. Cette instance a de fait remplacé la Commission des Droits de l'Homme en 2006 au motif que « certains Etats lui
ayant reproché sa trop grande sélectivité et sa polarisation, celle-ci avait perdu de sa crédibilité et sa capacité d’action avait été remise en question. » [Source] Mais le sous-préfet Guigue ne se contente pas d'une telle critique, il utilise manifestement la rhétorique dans son
art le plus subtil mais aussi le plus détestable, celui qui conduit au racisme. Ainsi, pour ce « spécialiste » du moyen orient, « la souffrance des femmes opprimées dans les
pays musulmans » n'est autre qu'une « antienne dont la rhétorique lobbyiste est coutumière ». Pour autant, à d'autres moments, le sous-préfet téméraire touche pultôt
juste lorsqu'il rappelle que « l'Arabie saoudite, où le port du voile est obligatoire et les femmes interdites de conduite automobile, est l’alliée historique des Etats-Unis dans la
région. » Ailleurs, il prend partie en faveur de « Mme Louise Arbour, haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU » accusée
dans l'article du Monde d'avoir « participé à une conférence à Téhéran consacrée aux droits de l’homme et à la diversité culturelle, portant le voile, comme la loi de la
république islamique l’exige, la haut-commissaire a été le témoin passif de l’énoncé de principes à venir, ainsi résumés : offense aux valeurs religieuses considérée comme raciste. Bien
pire, dès le lendemain de cette visite, vingt et un Iraniens, dont plusieurs mineurs, furent pendus en public. C’est en sa présence que le président Ahmadinejad a renouvelé son appel à la
destruction d’Israël ».Et l'auteur de contester cet argument par un contre-argument dont on peut au moins considérait qu'il est fallacieux et pour le
moins disproportionné : Mme Arbour « aurait-elle pu, en Israël, organiser une réunion pendant le shabbat ? »
Les arguments de Bruno Guigue sont donc manifestement tendancieux et à la limite de la diffamation
voire de l'insulte raciste d'autant qu'il n'hésite pas à prétendre sans autre argument que « Israël, seul Etat au monde dont les snipers abattent des fillettes à la sortie des
écoles », sans évoquer l'analogie terrible : « frappante est la ressemblance entre le Reich qui s’assied sur la SDN en 1933 et l’Etat
hébreu qui bafoue le droit international depuis 1967. »
Disons-le sans détour, à la lecture de son billet, l'ex-sous préfet Guigue apparaît manifestement
partisan, et le parti auquel il adhère est manifestement nauséabond. Mais il faut bien reconnaître que son argumentaire s'appuie sur les faiblesses évidentes du texte qu'il attaque. Ainsi, aux
auteurs de l'article du Monde qui prétendent [à juste titre selon l'autre du présent billet] qu'il existe un « retour de Dieu en politique », le sous-préfet répond ces « intellectuels savent de quoi ils parlent : Israël n’est-il pas l’Etat confessionnel par excellence ? »
De fait, le ministère de l'intérieur a tranché. Le sous-préfet a franchi le rubicond sacré que doit pourtant connaître et respecter
tout fonctionnaire [dont je suis, autant vous dire que je ne vous fait pas de dessin sur le risque pris] le devoir de réserve. Pourtant l'article 6 alinéa 1 de la loi n°83-364 du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires précise « la liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires. » Et si la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du
26 août 1789 précise aussi dans son article 10 que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses », cette liberté est aussitôt tempérée par le
« pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » Peut-être que les commentaires faisant suite à l'article lui-même dont certains sont
manifestement élogieux à l'égard de l'auteur auront fait plus de mal à l'auteur que ses propres dires.
Sans nul doute, l'auteur est aller trop loin dans la provocation, mais à aucun moment il n'insulte ouvertement. Il est certes
manifestement anti-israélien, mais s'est-il pour autant rendu coupable d'antisémitisme [voir l'ambiguïté du titre du Nouvelobs ci-dessous qui parle bien de "propos anti-israéliens" mais dont
l'adresse internet utilise le treme "antisémite" ? Et il est difficile de considérer ses propos de racistes, mais plutôt d'anti-israéliens. Aussi, il faut bien analyser la décision du ministère
de l'intérieur de donner un signe fort dans un contexte où le chef de l'Etat français vient de décider de renvoyer 1 000 soldats en Afghnistan. D'un autre côté, on doit bien reconnaitre que
certains arguments de l'auteur touchent juste et la sanction qui touche le fonctionnaire masque cela trop facilement car le voilà jeté en patûre aux médias friand de ce genre de polémique
opposant les « méchants islamistes » aux « gentils occidentaux ». Dans ce contexte, la parole des fonctionnaires apparaît fragile. je ne défends pas ici le fond des idées
pronées par Bruno Guigue, mais j'estime que le non respect du devoir de réserve dont il se serait rendu "coupable" n'est pas vraiment qualifié. Et je me demande en fin de compte combien
d'articles de ce blog pourraient être aussi la cause de mon éviction d'une fonction publique par trop bien pensante.
Pour aller plus loin, et vous faire une idée par vous-même :
[Oumma.com : un site d'information ? : Selon la présentation faite sur le site
même on apprend que « le site Oumma.com est une initiative indépendante de nature culturelle, civique et informative » dont les statuts relèvent de la loi de 1901 sur le droit d'association. « Ce site est réalisé par un collectif indépendant issu de plusieurs pays, réunissant
des musulmans. Le site Oumma.com est le premier site de l’Islam francophone sur internet par son taux de visite/jour et sa qualité rédactionnelle (plus de 6 millions de visites
mensuelles). » Pour autant d'aucun n'hésitent pas à qualifier ce site de site « islamiste »]
[relativisme culturel
: « Une conséquence de ce point de vue est que tout jugement d'une société basée sur le code moral de l'observateur est
invalide ; les individus doivent être jugés en fonction des normes de leur société et il n'y a pas de contexte plus large dans lequel ces jugements sont corrects. Ceci est une source de
conflit entre morale relativiste et absolue car, pour cette dernière, une société dans son ensemble peut être jugée pour son acception de pratiques immorales tels l'esclavage, le maintien des femmes dans une position d'infériorité ou la peine de mort. De
tels jugements peuvent être considérés comme arbitraires bien que certains relativistes condamnent l'esclavage. » - Source]
http://www.ohchr.org/FR/Issues/Pages/WhatareHumanRights.aspx
http://www.eda.admin.ch/eda/fr/home/topics/human/humri/humun.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_des_droits_de_l'homme_de_l'ONU
http://oumma.com/Bernard-Henry-Levy-delire-au-sujet
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/politique/20080323.OBS6220/un_sousprefet_limoge_pour_des_propos_antisemites.html
http://www.lefigaro.fr/politique/2008/03/23/01002-20080323ARTFIG00027-un-sous-prefet-limoge-pour-ses-propos-anti-israeliens.php
http://www.upjf.org/actualitees-upjf/article-13922-145-7-sous-prefet-diffame-israel.html
http://vigilances.blogspot.com/2008/03/un-sous-prfet-diffame-isral.html