Maître Bohémien anonyme (peut-être Maître Venceslas, fl. c.1397),
Le mois de mai, c.1400
Fresque, Trente, Château de Buonconsiglio, Tour de l’aigle
Les pochettes des disques édités par le courageux label Ramée, auxquelles Laurence Drevard a forgé, grâce à ses toujours subtiles mises en scène d’objets du passé, une identité immédiatement reconnaissable, sont toujours remarquablement évocatrices de leur contenu. Ainsi, la pomme de senteur finement ouvragée fabriquée en Italie vers le milieu du XIVe siècle qui orne celle d’I dilettosi fiori, une anthologie consacrée par Corina Marti, co-fondatrice de l’ensemble La Morra auteur, l’an passé, d’un superbe enregistrement des œuvres profanes de Johannes Ciconia (Ricercar, voir ici), à des pièces instrumentales du Trecento, nous entraîne-t-elle d’emblée dans un monde de raffinement que je vous propose de découvrir aujourd’hui.
Si l’on en croit la fréquence régulière des disques qui lui sont consacrés, la musique de la période que l’on longtemps
appelé, en un parallèle discutable avec ce qui se passait simultanément en France, l’ars nova italienne ne cesse d’éveiller l’intérêt des interprètes. Apparue aux alentours de 1330,
principalement dans le nord de la Péninsule (Milan, Vérone), cette nouvelle façon de composer va perdurer jusque dans les années 1415-1420, essaimant dans toute l’Italie en intégrant peu-à-peu
des éléments étrangers venus du Septentrion, grâce à des compositeurs comme le Liégeois Ciconia (c.1370-1412), ou des proches cours du Sud de la France, têtes de pont d’un style hautement
spéculatif dont le caractère souvent chantourné offre une parfaite résonance avec les productions du gothique international et que la postérité musicologique nommera ars subtilior.
Avec de grandes figures comme Jacopo da Bologna (fl. 1339-1360) et Francesco Landini (c.1325/35-1397) qui ne doivent pas faire négliger nombre d’autres musiciens moins connus mais tout
aussi passionnants,
Une des particularités de l’héritage de l’Italie du Trecento, et c’est ici celui qui nous intéresse, est qu’elle nous
lègue, bien plus que tout autre foyer artistique à la même époque, un riche corpus de musique instrumentale, en particulier pour clavier. Corina Marti a principalement puisé, pour composer son
programme, dans les deux plus importantes sources contenant de telles pièces, le Manuscrit Add. 29987 conservé à la British Library de Londres et le fameux Manuscrit 117 de la Bibliothèque
municipale de Faenza, dit Codex Faenza, réalisé aux alentours de 1400-1420, qu’elle a choisi d’interpréter sur un clavisimbalum (un lointain ancêtre du clavecin)
Ce répertoire a, en effet, trouvé en Corina Marti (photographie ci-dessous) une ambassadrice des plus inspirées qui en a pris
l’exacte mesure. Tout au long de cette anthologie, la musicienne fait preuve d’une maîtrise technique assez époustouflante qui lui permet de tirer le meilleur des instruments dont elle joue en
se servant avec beaucoup d’à-propos, de surcroît, de la façon dont ils sonnent dans l’acoustique choisie pour obtenir, en fonction de l’effet recherché, plus de liant ou plus de netteté. Cette
virtuosité jamais prise en défaut, y compris dans les pages périlleuses pour flûte double,
Corina Marti, clavisimbalum, flûtes à bec & flûte double
1 CD Ramée [durée totale : 69’35”] RAM 1108. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Anonyme (Codex Faenza, f. 93r-94r), Pièce sans titre
2. Anonyme (Ms. British Library, Add. 29987, f. 62r), Saltarello
3. Anonyme (Codex Faenza, f. 50v-52r), d’après Antonio Zacara da Teramo (c.1350/60-après 1413), Rosetta
4. Guillaume de Machaut (c.1300-1377), Quant je me suis mis au retour
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
I dilettosi fiori - Musique instrumentale de la fin du XIVe siècle | Compositeurs Divers par Corina MartiIllustrations complémentaires :
Maître italien anonyme, Pampinea gouverne, illustration d’un manuscrit du Décaméron de Boccace (1313-1375) réalisé à Florence en 1427. Paris, Bibliothèque nationale de France, Ms. Italien 63, fol 10v
Maître bohémien anonyme (peut-être Maître Venceslas, fl. c.1397), Le mois de juin, c.1400 (détail). Fresque, Trente, Château de Buonconsiglio, Tour de l’aigle
La photo de Corina Marti est de Michal Gondko, utilisée avec l’aimable autorisation de Ramée.
Suggestion d’écoute complémentaire :
Comme tous les disques du trop rare ensemble Mala Punica, Faventina a été un événement à sa parution et n’a pas fait l’unanimité. Il propose des pièces liturgiques du Codex Faenza ressuscitées grâce à la magie de la technologie qui a permis de lire la musique du palimpseste sur lequel les pièces du recueil telles que nous les connaissons aujourd’hui ont été réécrites. Certains ont objecté que cette restitution était trop chamarrée – c’est le reproche le plus généralement fait au travail de Pedro Memelsdorff – et par là même discutable d’un point de vue historique, mais on reste quand même ébahi devant un résultat qui, reposant sur un travail de recherches et de réflexion extrêmement solide, parle le même langage que la production picturale de son temps et possède un réel pouvoir évocateur et poétique.
Mala Punica
Pedro Memelsdorff, flûte à bec & direction
1 CD Ambroisie AM 105. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien et un extrait de chaque plage en être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :