Les filles naissent dans les roses?

Par Oliviernda
Par: Agnès Giard - titre: Dolindacafe.com
Sous prétexte que les filles aiment le rose, on leur en met plein la figure. Rose fuschia, rose Kitty, rose bonbon, rose guimauve… Pour encourager les filles à opter pour des carrières scientifiques, la Commission européenne elle-même en abuse: sous prétexte que cela rend la chimie et les maths plus séduisants, la campagne de promotion intitulée «La science c’est pour les filles» s’appuie sur des images outrageusement… roses. Pour (essayer de) doubler ses ventes, Sanogyl lançait il y a quelques mois une brosse à dent rose «adaptée à la morphologie féminine», c’est à dire avec «une tête plus fine», un «design élégant», une «préhension douce et facilitée» et «trois niveaux de poil pour une action globale qui respecte les gencives». Dans les services marketing de Sanogyl, on pense probablement que les femmes succombent à l’idée qu’elles sont des êtres gracieux, doux et raffinés destinés par leur morphologie à servir d’ornement dans le couple.
On pense aussi que les hommes doutent tellement de leur virilité qu’ils ont absolument besoin d’acheter la version «Pour lui» de la brosse à dents Sanogyl qui ressemble symboliquement à une perceuse… faite pour décaper la plaque dentaire forcément plus résistante des mâles.  Elle est bleue, avec «une tête plus large adaptée aux bouches plus grandes des hommes» , un «design sport et technique» et un «manche plus épais avec grip pour une excellente préhension». Les supermarchés sont pleins de ces produits sexués qui renforcent de façon insidieuse la discrimination homme-femme. Dans le vocabulaire de la pub, on appelle ça le «marketing genré» (gender marketing). «Derrière cette appellation anglo-saxonne, se cache un concept tout droit venu des Etats-Unis qui consiste à segmenter l’offre produit en fonction du sexe. Une façon indirecte de démultiplier les intentions d’achat, deux produits sexués devant ainsi se substituer à un seul produit mixte au sein d’un ménage.» Dans un article qui décline les 10 produits les plus stupides du… genre,  Sophie Gourion énumère: il y a le stylo bic rose pour femme, adapté aux doigts faibles et délicats des femmes, l’apéricube rose pour soirées entre filles, le téléphone portable rose «vanity» dont le nom évoque à la fois la trousse de maquillage et la vanité naturelle des femmes… sans oublier les bouteilles de rosé pour les filles «séduisantes» qui veulent «flirter» ou les consoles GPS rose pour les gamines qui, sans cet indispensable outil, pourraient se perdre en allant chez le coiffeur. C’est connu, les filles n’ont pas le sens de l’orientation. Existerait-il un marché porteur pour ce genre de gadget inutile ? Sophie Gourion affirme que non. «Une étude marketing menée auprès de 500 personnes a prouvé que seulement 17% d’entre elles disent acheter ces produits genrés pour affirmer leur masculinité ou leur féminité. Et 60% d'entre elles pensent que ces produits ou services ne répondent pas à de vrais besoins aujourd'hui.» L’étude hélas date de 2008. Il se peut fort qu’en 2012, le gender marketing ait fini par avoir raison de notre raison. Les stratèges de la communication vont toujours dans le sens du vent et, de toute évidence, le vent tourne au mauvais grain. Bien que de plus en plus de féministes se battent contre la discrimination, celle-ci se répand sournoisement dans notre vie quotidienne, sous la forme de jouets mièvres pour filles, de bouteilles de limonade plus petites pour la petite vessie des femmes ou de voitures aux "couleurs synchronisées avec votre maquillage" et d’ordinateurs aux designs ciblés greluche… Même les campagnes visant à lutter contre cette forme d’obscurantisme qu’est la division des rôles tombent dans le panneau. Pour encourager les lycéennes et les étudiantes à choisir les filières scientifiques, la Commission européenne vient de lancer une grosse opération rose bonbon qui fait scandale. La campagne s’intitule : «La science, c'est pour les filles !» et le i de science a été remplacé par un tube de rouge à lèvre. Le vidéo-clip, conçu pour attirer les jeunes femmes vers des carrières dites «masculines», est un concentré de clichés douteux. Trois filles en talons-aiguilles et jupes courtes jouent les top-modèles sur fond de laboratoire. Elles prennent la pose comme des mannequins pour enfiler des blouses blanches et remuent de façon avantageuse leurs appâts en se penchant sur des microscopes. Qu’examinent-elles? Des échantillons de poudrier bien sûr. Le site de la campagne (science-girl-thing.eu) ne vole guère plus haut. On y apprend qu’une exposition itinérante (menée, entre septembre et décembre 2012 en Autriche, Allemagne, Italie, Pays-Bas et Pologne), sera accompagnée d'ateliers où «les jeunes filles seront par exemple invitées à réaliser elles-mêmes un baume à lèvres, ou visiter un 'bar à oxygène' dans lequel elles devront identifier différents arômes tels que la menthe, le chocolat ou la fraise. » Ben oui, les filles c’est que les cosmétiques et les glaces chocolat ou fraise qui les intéressent. Face aux critiques, la Commission européenne a rédigé un document en anglais. Elle explique ainsi que la campagne —qui a coûté 102 000 euros— s'adresse prioritairement aux «adolescentes âgées de 13 à 18 ans.» Le rouge à lèvres a été massivement utilisé car «les résultats des deux groupes-tests [composés de filles de 12-15 ans et de 16-18 ans] ont montré qu'il était très apprécié et rendait la campagne plus attrayante.» Et si la charte graphique contient beaucoup de rose, c'est que ces mêmes groupes-tests «ont considéré la couleur originale (le rouge) trop adulte.» «Le slogan est en rose pour l'instant mais d'autres couleurs comme le orange ou le bordeaux ont été développées et seront utilisées sur le site internet», précise la Commission. Ouf, nous voilà rassurées. Note 1/ Les femmes ne se laissent pas facilement avoir par le marketing genré, la preuve : les campagnes de pub axées Mâle pour le coca zéro restent lettre morte. Les femmes boudent le coca light que la firme s'obstine à vouloir leur vendre en exclusivité et consomment du coca zéro autant que les hommes. Source : sexes.blogs.liberation.fr