"Adieu Berthe" enterre mémé et déclenche les rires (ou comment se rattraper quand on n'a pas encore parlé d'un film important)
Par Tred @limpossibleblogAu printemps 1998, je n’avais pas encore 17 ans. Cela faisait quelques années déjà que je m’intéressais au cinéma plus que la moyenne, mais je connaissais finalement depuis peu les joies que pouvaient procurer les voyages cinématographiques hors des sentiers battus. Et si je devais lister les dix films de l’époque qui ont le plus forgé mon caractère cinéphile, ces films qui m’ont pris au dépourvu et ont fait de moi le spectateur que je suis aujourd’hui, « Dieu seul me voit » en ferait certainement partie.
C’était le premier long-métrage de Bruno Podalydès. J’y découvris ce ton qui lui est propre, ce mélange indescriptible d’une tendresse incroyable et d’un amour de l’absurde qui est un régal de tous les instants. J’y découvris son frère Denis, le vecteur parfait des prouesses humoristiques de Bruno. Les frères Podalydès. Quand j’ai découvert « Dieu seul me voit », je crois que j’ai su immédiatement que je ne raterais plus un seul des films que ces deux-là voudraient bien nous offrir, et je m’y suis tenu.
Comme je suis tombé dedans quand j’étais petit, comme dirait l’autre, je n’ai jamais eu à me demander si le cinéma des Poda était fait pour moi, mais j’ai tout au long de ces années fait du prosélytisme, vantant leur humour, vantant leur humilité cinématographique qui ne les empêchait jamais d’accoucher de films qui comptent. Et puis en 2012, comme par magie, le Festival de Cannes s’est enfin penché sur le cinéma des frangins. Enfin un film de Bruno Podalydès était sélectionné sur la Croisette, à la Quinzaine des Réalisateurs. « Adieu Berthe, l’enterrement de mémé ».
Voilà un mois que je l’ai vu. Je sais, je sais, je suis en retard. J’aurais voulu vous en parler immédiatement, à peine sorti de la salle, mais je me suis entretemps laissé emporter par le Festival Paris Cinéma et ai dû laisser de côté mon envie d’écrire à propos du film des Podalydès. Les semaines ont passé, et il est temps que je hurle ce que j’ai sur le cœur : « Adieu Berthe, l’enterrement de mémé » est un grand film ! Je l’ai recommandé je crois à chaque âme humaine que j’ai croisé sur mon chemin depuis un mois. Car il n’y aura jamais assez de monde qui aura vu le film réalisé par Bruno Podalydès (même si avec plus de 500.000 entrées au compteur, c’est déjà un beau succès au box-office français).
J’ai laissé trop de temps passer, je m’en veux. Comment donc aujourd’hui vous décrire avec la plus grande acuité possible cette légèreté apparente, ces touches d’absurdes en embuscade à chaque plan. Les péripéties d’Armand, pharmacien partagé entre femme et maîtresse et devant gérer l’enterrement de sa discrète grand-mère qui vient de décéder, furent pour moi une bouffée d’air frais, malgré ma familiarité avec le cinéma des frères Podalydès. Une comédie qui à mesure que les aventures et dilemmes moraux d’Armand progressent et se densifient, à mesure que les personnages se croisent et se décroisent, à mesure que l’on se rapproche de Berthe, cette invisible mémé si mystérieuse, tisse doucement sa toile vers l’émotion et la réflexion.
Du rapport à la mort aux secrets de chacun, du destin que l’on choisit d’empoigner à la difficulté de la vie de couple, « Adieu Berthe » trace le sillon d’une comédie parvenant à nous faire tanguer entre hilarité et mélancolie. L’œil, les mots et les gestes de Bruno et Denis Podalydès maîtrisent cette douce acrobatie consistant à conjuguer humour et tendresse sans jamais tomber dans les travers de l’attendu. « Adieu Berthe » est d’une cocasserie folle et d’une sagesse étonnante. Il faut voir à quel point chaque personnage fait mouche, chaque réplique est parfaitement pensée et amenée. Le sixième long-métrage de Bruno Podalydès fait partie de ces comédies si drôles que l’on rate d’autres morceaux de bravoure couverts par nos rires. Il y a les potes du Français, Catherine Hiegel et Michel Vuillermoz. Il y a les potes Versaillais, Isabelle Candelier et Jean-Noël Brouté. Il y a cette osmose incroyable, dans le verbe, dans le regard, dans le jeu, qui fait que l’on se sent incroyablement bien dans « Adieu Berthe ». Je me devais de lui consacrer quelques lignes. J’en mourais d’envie.