L’extrême droite se donne un label bio
Pour faire passer son rejet du métissage et de l’immigration musulmane, une frange de l’extrême droite défend les Amap, le bio et les coopératives agricoles. Un retour très tendance au bon vieux temps qui recycle les vieilles rengaines réactionnaires.
- Une croix gammée tracée dans un champ en Allemagne, en août 2010. REUTERS/Michael Dalder. -
L’extrême droite veut que tout le monde sème. C’est son côté fleur bleue. Sous couvert d’agriculture biologique et de protection de la nature, des militants identitaires en France, franchement néonazis en Allemagne, s’immergent dans la société pour mieux diffuser leurs idées.
Commençons notre balade champêtre dans le sud de l’Allemagne. Bienvenue chez Hans-Gunter Laimer, pantalon vert et chemise à carreaux, implanté en Basse-Bavière. «Quand Laimer organise une journée portes ouvertes dans sa ferme, il y a un groupe de joueurs de flûte, une conteuse et un marché aux puces pour enfants. Un véritable petit paradis bio», raconte la Suddeutsche Zeitung.
C’est chou. Sauf que l’agriculteur a présenté sa candidature aux élections locales sous la bannière du NPD, le parti néonazi présent dans certains Parlements régionaux. «Qu’est ce que mes cornichons ont de différents par rapport à ceux d’un Vert?», demande benoîtement l’exploitant.
Des «hippies à la Mad Max»
Il est également membre du conseil d’administration de l’association Midgard, qui publie le magazine Umwelt&Aktiv, petite revue consacrée à l’agriculture bio. En apparence, pas de quoi fouetter un chat: nombre d’articles traitent des biocarburants, des OGM ou donnent des conseils avisés pour un potager aux petits oignons.
Puis, au détour d’une page, on tombe sur un fatras ésotérique de mythes germaniques et rites païens. Dans la rubrique «sécurité intérieure», les lecteurs du numéro de mars 2011 pouvaient aussi apprendre que le peuple allemand périra, biologiquement et spirituellement, s’il se risque à procréer avec des personnes d’une autre origine ethnique. Et se voit appelé à la résistance face au déferlement des mutilations génitales ou de la lapidation— pratiques forcément juives ou musulmanes– sur le sol germanique. La revue est d’ailleurs considérée comme «une publication de propagande cachée du NPD» par la Direction de la sécurité du territoire.
Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites en Europe et chercheur associé à l’Iris, inscrit Umwelt&Aktiv dans la mouvance völkisch. Les penseurs de ce courant intellectuel, né à la fin du 19ème siècle, défendent la nécessité de pureté de la «race», sous peine de disparition. Fatalement, le paysan allemand, préservé de la modernité, devient l’exemple à suivre.
Leurs héritiers sont des «hippies à la Mad Max», selon l’expression de l’historien Stéphane François, persuadés d’être engagés dans une «guerre ethnique» et que seul le retour à la terre, aux racines peut préserver leur identité germanique. Leur credo, que l’on retrouve aujourd’hui sur des affiches du NPD: «Défendre l’environnement = Défendre la mère-patrie».
«Ils diffusent une manière de vivre […] qui est à la fois nationaliste et autoritaire, et dans laquelle il n’y a pas de place pour le pluralisme et la démocratie», précise au Guardian Gudrun Heinrich, politologue à l’université de Rostock et auteur d’un livre intitulé Braune Oekologie («L’écologie brune»).
Des dizaines d’exploitations tenues par des néo-nazis
Hans-Gunter Laimer est loin d’être un cas isolé. Un article des Dernières nouvelles d’Alsace recense pas moins d’une soixantaine d’exploitations agricoles biologiques tenues par des membres du NPD, rien que le long de la Baltique, au nord du pays.
En fait, depuis les années 1990, de nombreux paysans, qui vendent localement leur récolte, s’évertuent à revigorer les traditions de la ligue d’Artaman, un club de joyeux drilles nationalistes bien décidés à revigorer la nation et la «race aryenne» en moissonnant dans des fermes collectives. Heinrich Himmler en fut membre et Richard Darré, général SS et ministre de l’Agriculture du troisième Reich entre 1933 et 1941, l’un des principaux théoriciens.
En réponse à l’ampleur du phénomène, le département de mise en valeur du milieu rural du Land de Rhénanie-Palatinat a même produit une brochure intitulée «Protection de la Nature contre l’extrémisme de droite» qui vise à aider les agriculteurs biologiques résister à l’infiltration de fascistes dans leurs rangs.
Mettre la main au panier (bio)
En France aussi des militants, certes bien moins nombreux, ont pris la clef des champs. Leur marotte, encore et toujours: chacun chez soi et les vaches seront bien gardées.
A l’été 2011, les habitants de Thorey-en-Plaine, en Côte-d’Or, découvrent le «Cercle grevelon» qui, rapporte le quotidien d’informations en ligne Dijonscope, proposait des paniers bio tout ce qu’il y a de plus anodins, garnis de produits locaux: «une Amap comme une autre». Sauf que Mathieu Bouchard, trésorier du Cercle —dissout à l’hiver 2011— est membre du Bloc identitaire, de même que d’autres créateurs de l’association: «Je ne vois pas ce qu’il y a de politique à vendre des fruits et légumes en faisant travailler les petits producteurs locaux», précisait-il déjà à l’époque en dénonçant «un amalgame».
Admettons, une hirondelle ne fait pas le printemps.
Des pétitions de Greenpeace sur des sites racistes
Pas besoin de s’appeler Hercule Poirot pour dénicher dans la nébuleuse des sites de la droite radicale d’autres traces de ce noyautage. Visite express. Le Mouvement d’action sociale, d’inspiration fasciste, entend «préserver notre environnement, la richesse des pays et des terroirs, promouvoir une écologie organique qui rende à notre terre sa fonction sacrée et développer le micro-crédit social, les sociétés d’entraides mutuelles, les Amap, les systèmes d’échanges locaux».
«À Réfléchir et Agir [revue identitaire, païenne et racialiste, qui promeut l'idée d'un grand ensemble européen "blanc", de Brest à Vladivostok], on débat même sur les mérites respectifs de la vie citadine et du retour au rural», notait Jean-Yves Camus dans un article publié en mars 2011 par Charlie Hebdo:
«Plusieurs initiatives, qui mêlent projet de vie collective enracinée, refus de la société de consommation et écologie, voient le jour. Des réseaux d’achat direct de produits souvent bio sont créés: Coopérative parisienne; Terroirs et productions de France; ferme de Saumane; Terres arvernes, tous proches du Bloc identitaire!»
L’association Terre et Peuple, ouvertement racialiste, diffuse sans sourciller une pétition de Greenpeace contre les OGM. Ti-Breizh, la Maison de l’identité bretonne, ouverte officiellement depuis 2009 sur la commune de Guerlesquin (Finistère), entend défendre des «projets à caractère identitaire, écologique, caritatif». Son site renvoie vers la liste des Amap du département ou encore vers la Ferme du bout du monde, en Haute-Loire, pourtant sans aucun lien avec cette mouvance (l’exploitant est élu sur une liste de gauche). Un braconnage en règle sur un terrain généralement labellisé à gauche.
«Des tentatives d’enracinement existent depuis les années 1980. Ça reste marginal, d’autant que ces idées ne sont absolument pas suivies au sein du Front national. Son électorat n’y est guère sensible, précise Jean-Yves Camus. Mais ça gagne en cohérence avec le mouvement identitaire, au discours très structuré. Surtout que le thème du localisme est désormais passé dans les médias. Ces idées sont issues d’une longue tradition, qui remonte aux années 1920, mais il y a aussi une part de tactique dans la mesure où elles sont désormais audibles, en particulier par les jeunes.»
Le retour au local contre l’immigration musulmane
Ces identitaires —qui défendent à la fois une soi-disant «civilisation européenne» et une forme de régionalisme— ont fait de l’«enracinement» et la défense des terroirs, rebaptisés «patries charnelles» ou «communautés naturelles», des thèmes majeurs de leur programme. Ainsi, le Bloc Identitaire (BI) a consacré un débat entier à l’écologie à l’occasion de sa Convention de 2008.
Arnaud Gouillon, candidat du BI à l’élection présidentielle de 2012, défend également le localisme et, pour couper court à toute accusation de racisme, affiche son respect des identités, de toutes les identités. A une condition: que chacun s’occupe de ses oignons. Chez soi.
Le discours est calibré au quart de poil pour coller aux aspirations environnementales tout en respectant à la lettre la ligne dure du mouvement. Derrière la promotion des particularismes locaux, la peur d’être «submergé» par l’immigration musulmane. Le rejet de l’agriculture intensive masque une vision fantasmée de la nature et un refus radical de la modernité. Les vieilles rengaines d’extrême droite ripolinées en vert.
Pour autant, s’agit-il, en France comme en Allemagne, d’une simple OPA sur des thèmes en vogue et porteurs? Les identitaires marchent-ils sur les plates-bandes des écolos de gauche ou des altermondialistes pour s’offrir une caisse de résonance? Ce serait trop simple.
«Globalement, les écologistes se disent de gauche, bien que leurs valeurs soient clairement conservatrices, donc de droite. Ces références conservatrices ont donné naissance à un courant de l’écologie politique que certains ont pu qualifier de “réactionnaire”, couvrant un spectre politique allant de la droite à l’extrême droite, et dont l’influence se fait de plus en plus grande dans les milieux altermondialistes», précise Stéphane François, spécialiste des droites radicales et chercheur associé au CNRS.
Une sacrée patate chaude que voilà, développée dans son dernier ouvrage consacré à la question, L’Écologie politique. Une vision du monde réactionnaire?. Le chercheur y rappelle que les Verts allemands ont été influencés dès l’origine par les idées conservatrices de la Nouvelle droite [1]. Et met en lumière les compagnonnages, le mélange des genres au sein de revues comme The Ecologist d’Edward Goldsmith [2] —adoubé prix Nobel alternatif en 1991— Éléments, le magazine de la Nouvelle Droite, ou encore Le Recours aux Forêts de Laurent Ozon [3]. De quoi brouiller les pistes.
La technique du coucou
Si, depuis une centaine d’années déjà, des groupes de droite réactionnaire labourent donc le champs du terroir, du localisme et de l’écologie –thèmes aujourd’hui estampillés à gauche–, l’idée de diffuser en douce des idées d’extrême droite est plus récente. Et la technique de dédiabolisation rudement efficace.
Les spécialistes allemands notent l’implication des militants radicaux, revenus à la terre, dans la vie associative et communale. Selon un expert du «Groupe de travail sur les colons racistes», qui refuse d’être cité nommément, «la plupart d’entre eux prennent un rôle actif dans la vie du village, s’impliquant dans les écoles et les garderies». «Leur objectif est que les gens n’associent plus le NPD à un mouvement politique mais à un groupe établissant de simples passerelles vers la vie des citoyens», explique un autre.
En septembre 2010, le gouvernement du Land de Mecklembourg-Poméranie avait déjà adopté une loi obligeant toute personne ouvrant une garderie ou une crèche à s’engager à respecter la constitution démocratique du pays. Objectif de l’opération: empêcher des néo-nazis de créer des Kindergarten, d’influencer l’enseignement ou de se faire recruter comme professeurs dans les crèches et autres écoles maternelles, phénomène qui s’est développé au cours des dernières années.
«S’emparer d’un système moribond est un mauvais choix tactique. Mieux vaut à mon sens créer des alternatives constructives à côté pour préparer l’avenir avec les personnes conscientes de la situation», nous explique Roark, de son vrai nom Olivier Bonnet, porte-parole de Des Racines et des Elfes –comprendre «Européens, libres, fiers, enracinés et solidaires» – qui chapeaute le projet de la Desouchière, né en 2008, projet que Jean-Yves Camus décrit comme une tentative «d’habitat communautaire pour les 100% Gaulois».
«Pour prendre un exemple, poursuit notre elfe qui se sent pousser des ailes, plutôt créer une école hors-contrat efficace que tenter d’influencer laborieusement l’école publique du coin.» Un objectif terre à terre pour couper l’herbe sous le pied de leurs détracteurs. Et faire germer des graines dans les esprits.
Damien Dubuc
[1] En France, cette école de pensée, qui se situe entre droite et extrême droite, entendait lier combat politique et combat culturel. Elle est opposée à la mondialisation libérale sans être pour autant attachée à la Nation. Revenir à l’article
[2] Dès 1968, Edward Goldsmith participe à la fondation de ce qui allait devenir Survival International, l’organisation de défense des peuples premiers. Un an plus tard, il lance au Royaume-Uni The Ecologist, une revue austère, mais qui allait s’imposer comme une référence dans la réflexion sur l’actualité environnementale (une déclinaison française existe depuis 2000). La revue critique violemment la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais Teddy est aussi un penseur conservateur, voire franchement réactionnaire, «hostile à l’idée de progrès et à la modernité issue des Lumières», décrypte Stéphane François. Revenir à l’article
[3] Cet ancien militaire de 44 ans aime à mettre en avant son passage chez les Verts, de 1993 à 1995 et se targue d’avoir participé à la constitution d’Europe Écologie. Sa défunte revue Le recours aux Forêts a publié les contributions d’Edward Goldsmith mais aussi de Serge Latouche et d’Alain Caillé, les animateurs du Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales (MAUSS), dont l’engagement à gauche ne souffre pas de contestation. Après un tour de piste chez les Identitaires, Ozon est entré en janvier 2011 au bureau politique du Front national, avant d’en démissionner en août de la même année, après un tweet dans lequel il expliquait les crimes d’Anders Breivik par «une explosion de l’immigration»en Norvège.
Source : L’extrême droite se donne un label bio | Slate.