« La droite qui a soutenu le dictateur Ben Ali pendant la révolution boycotte le premier président arabe démocratiquement élu. Bravo les gars.»A l'Assemblée nationale, Moncef Marzouki, nouveau président de la nouvelle Tunisie venait s'adresser à notre représentation nationale. La situation tunisienne est loin d'être simple, mais la Tunisie n'avait pas sombré depuis la chute de l'autocrate Ben Ali. Ce dernier venait de proposer de restituer une fraction des milliards de dollars que sa famille avait détournés du pays vers la Suisse ou ailleurs en une quarantaine d'années de dictature.
A peine entré dans l'hémicycle pour sa déclaration solennelle, une large frange des députés UMP avait déserté les rangs, pour mieux bouder son intervention.
Pour la France, c'était indigne. Tout simplement indigne.
Un ancien député UMP, Didier Julia, n'a pas hésité à se déclarer « consterné par l'attitude de certains représentants de l'UMP à l'égard du Président Monzef Marzouki qui dans son pays et pour le monde entier incarne la laïcité, la tolérance et le besoin de justice ». «J'appelle tous mes compagnons de route à s'informer sur le terrain et à rendre hommage à ce que l'on peut appeler le modèle tunisien.»
Il fut effectivement surprenant d'entendre le député UMP Pierre Lellouche excuser son absence au motif que « le processus démocratique n'est pas encore stabilisé ». En 2006, le même Pierre Lellouche faisait du lobbying pour l'autocrate Ben Ali lors d'un voyage organisé à Djerba par les autorités tunisiennes de l'époque.
A peine élu, l'ancien Monarque s'était rendu en juillet 2007 en Tunisie embrasser Ben Ali et louer les progrès de la démocratie. Ben Ali n'avait aucun souci à ce faire, Nicolas Sarkozy n'avait d'irréprochable que la plus grande des continuités en matière de diplomatie discutable. Et Rama Yade, éphémère secrétaire aux Droits l'Homme dans le gouvernement Fillon, n'était pas choquée par son voyage à Tunis.
En avril 2008 pour une seconde visite, le même mépris pour la situation des droits de l'homme fut de mise. En 2009, il avait salué dans les premiers la réélection de Ben Ali à 89% des suffrages. Son second ministre de la Culture adorait le pays au point d'en être citoyen d'honneur.
Le printemps arabe avait commencé en Tunisie, en décembre 2010. La Sarkofrance resta paralysée face à l'agitation populaire déclenchée par l'immolation d'un jeune marchant de légumes. La ministre Michèle Alliot-Marie était en vacances, invitée en jet et villas par un riche homme d'affaires ami de famille et du régime. Elle en avait profité pour rencontrer le ministre de l'intérieur tunisien, Rafik Haj Kacem, et le chef de la garde présidentielle, Ali Seriati.
La Sarkofrance ne voulut reconnaître l'opposition qu'une fois l'autocrate local Ben Ali enfin destitué, un vendredi 14 janvier 2011. Quelques jours avant cet heureux dénouement, le gouvernement Fillon/Sarkozy avait même tenté d'envoyer des grenades lacrymogènes au régime en place. La ministre des Affaires étrangères proposait aux autorités le « savoir faire » français en matière de maîtrise des manifestations. Ben Ali exilé, la Sarkofrance nomma un nouvel ambassadeur français, Boris Boillon. Le jeune homme - 40 ans à peine - se félicitait de parler arabe et de connaître intimement le colonel Kadhafi. Lors d'une première rencontre avec la presse (libre) locale, il fut si hautain qu'il déclencha une manifestation réclamant son départ !
La Tunisie libérée, le pays organisa des élections présidentielles puis législatives. A la première vainquit un ancien opposant laïc, longtemps réfugié en France, Moncef Marzouki. Aux secondes, le gagnant fut le parti islamiste modéré Ennadha. Bien sûr, rien n'est gagné, la démocratie n'est pas acquise. Mais la réaction de ces députés UMPistes à la venue de Moncef Marzouki ne souffrait aucune excuse.
Imaginez un instant que des députés socialistes se soient retirés à la première venue de Vaclav Havel, premier président de la République tchèque post-communiste. Quelle aurait été notre réaction collective ? De l'indignation.
Marzouki fut évidemment reçu à l'Elysée. Et François Hollande ne pouvait qu'assurer le nouveau président du soutien de la France: « Après le temps de la révolution, il faut assurer le temps de la transition. C'est ce que vous êtes en train de traverser. Et la France doit être à vos côtés. A vos côtés ça veut dire répondre à toutes les demandes que vous voudrez bien nous adresser sur la question de la dette, sur la question de l'aide, sur la question aussi des relations économiques, commerciales ».
A l'Assemblée, le président tunisien eut quelque peine à convaincre que l'islam politique saurait être démocratique (« L'islam démocratique, il ne faut pas en avoir peur »). Il est trop tôt. Mais il eut des mots simples de reconnaissance envers son hôte d'un jour: « Mais la partie essentielle de la France, celle des partis et des syndicats, des organisations de la société civile, la France des médias, des intellectuels et des simples citoyens, la France qui m'a donné asile, ne nous a jamais fait défaut et nous a soutenus autant qu'elle le pouvait.»
En Tunisie, rien n'est gagné. Mais chez certains députés UMP, trop nombreux, tout est déjà perdu.