Souad Abderrahim s'est faite agresser à l'entrée du siège de l'Assemblée Constituante. En ce jour historique de la séance inaugurale, les forces progressistes rétrogrades l'ont prise pour cible. Pour ceux à qui ce nom ne dit rien et qui auraient donc raté leur rendez-vous avec l'Histoire, saisissez au vol cette séance de rattrapage.
Souad Abderrahim, c'est un peu comme la vitrine d'un chocolatier en période de Noël, ou pour rester fidèle à notre sacro-sainte identité arabo-musulmane, disons plutôt que c'est comme la devanture d'un boucher un jour d'Aïd. Imaginez-vous, une femme, moderne, diplômée, exerçant une profession libérale, non-voilée de surcroît, du moins physiquement, et qui défend les idées et le programme d'un parti islamiste. Vous l'aurez compris, Souad c'est le joyau d'Ennahdha, sa fierté, son symbole d'ouverture, son cheval de Troie.
A travers cet odieux attentat, les forces progressistes rétrogrades ne s'en sont pas prises uniquement à la personne de Souad mais ont incontestablement visé le parti Ennahdha tout entier et ceux qui y voient un rapport direct avec les prises de position publiques hautement courageuses de cette grande dame sont d'incorrigibles naïfs. Cette agression cristallise en effet des mois de tension extrême faite d'accusations infondées, de bassesses sans fond, de manipulations viles, de diffamations ignominieuses, et face auxquelles Ennahdha a toujours su faire face avec dignité, affichant une intégrité exemplaire.
Pour comprendre comment les forces progressistes rétrogrades en sont arrivées à commettre l'irréparable, observons cette escalade de la violence dans son ensemble et retournons quelques mois en arrière, plus exactement au lendemain de la fuite de Ben Ali :
Tout danger écarté, les forces progressistes rétrogrades, qui dans un premier temps, du haut de leur exil confortable, avaient pris grand soin de s'innocenter de la révolte des jeunes Tunisiens, qualifiés d'ignorants par leur guide suprême, se sont empressées de ceindre leur front du jasmin de la révolution piétinant éhontément les cadavres encore fumant des martyrs.
D'entrée de jeu, les forces progressistes rétrogrades s'arrogèrent des valeurs qui avaient toujours été chères aux Tunisiens, les accusant de les avoir reniées. Elles usurpèrent la voix du peuple s'érigeant en donneurs de leçons moralisateurs. Elles déployèrent les moyens considérables dont elles disposaient pour donner l'illusion qu'elles occupaient seules la scène politique tunisienne, scène qui s'étendait jusqu'au sein des lieux de culte supposés sacrés. Et, faisant fi des critiques et des inquiétudes légitimes de leurs concitoyens quant à une éventuelle ingérence étrangère, elles refusèrent toujours de lever le voile sur la provenance occulte de leurs richesses intarissables.
L'impact grandissant des forces progressistes rétrogrades les rendait plus arrogants chaque jour. Elles n'eurent aucun scrupule à instrumentaliser le dénuement des plus nécessiteux et à exploiter leur ignorance. Elles les éblouirent par des spectacles grandioses. Elles endormirent leur vigilance par des promesses fabuleuses. Elles achetèrent leurs faveurs en leur jetant quelques miettes illusoires, leur faisant miroiter les reflets alléchants d'une fortune colossale dont elles n'allaient rien céder en réalité.
Voyant que leurs opposants les perçaient à jour et afin que leurs manœuvres machiavéliques ne soient jamais révélées au grand public les forces progressistes rétrogrades déclenchèrent une véritable guerre médiatique. Elles multipliaient les fausses déclarations, faisaient elles-mêmes courir des rumeurs scandaleuses à leur propre sujet et s’empressaient par la suite de les démentir. Ainsi, plus personne n'était capable de démêler le vrai du faux et elles n’eurent qu'à cultiver leur image de victime pour forcer l'adhésion d'une population de plus en plus désabusée par des difficultés pourtant inévitables dans une période de transition de cette envergure.
Grâce à leur armée d'avocats aux dents acérées, les forces progressistes rétrogrades réussirent également à infiltrer un système judiciaire déjà sclérosé par la corruption et à le détourner en leur faveur. Elles partirent en croisade contre tout ce qui leur opposait la moindre résistance à commencer par les domaines d'expression libre comme l'internet ou les arts. Elles étendirent par la suite leur emprise sur l'enseignement, terrorisant professeurs et étudiants. Elles parvinrent même à relancer la persécution des journalistes et des médias qui n'étaient pas acquis à leur cause, déguisant leurs méthodes, héritées de la dictature déchue, sous la bannière des bonnes mœurs et de la morale.
Les forces progressistes rétrogrades, qui avaient déjà par le passé usé des formes de violence les plus radicales, poussèrent même le vice jusqu'à titiller les plus bas instincts de leurs combattants, les incitant à demi-mot à agresser physiquement tous ceux qui se dressaient en travers de leur chemin et freinaient leur ascension fulgurante. Elles provoquaient une polémique à chaque évènement initié par ceux qu'elles qualifiaient d'ennemis. Elles les obligeaient à se réunir pour se défendre les attirant ainsi dans un guet-apens afin de lâcher sur eux leurs fauves. Rien ni personne n'échappait à leur fureur, pas même les bâtiments. Elles agissaient en toute confiance, la Justice, conquise, leur assurant une impunité inébranlable.
C'est dans ce climat chaotique que les forces progressistes rétrogrades menèrent leur campagne électorale tambour battant. Dans la confusion totale qu'elles avaient semée, elles eurent tout le loisir de tricher, frauder, mentir et tromper. Elles achetèrent les voix des électeurs les plus pauvres. Elles intimidèrent les plus crédules. S'aidant des gouvernements étrangers à qui elles avaient promis leur part du butin, elles allèrent même jusqu'à pénétrer l'organisation des élections afin de contrôler de près le déroulement du scrutin et d'élaborer des résultats taillés à leur convenance. Comme toujours, la Justice resta aveugle.
Nous voici donc en ce jour fatidique de la séance inaugurale de l'Assemblée Nationale Constituante. Ennahdha, en dépit de tous les coups bas, y siègera en parti majoritaire. Une claque pour les forces progressistes rétrogrades.
NB : Je condamne sans équivoque l'agression de Mme Souad Abderrahim. Mon billet n'a d'autre but que de souligner l'hypocrisie et le double discours des nahdhawi qui se sont toujours empressés de justifier les violences commises par leurs frères au nom de ce qui est juste et bien mais n'ont bien évidemment pas raté cette occasion pour se poser une nouvelle fois en victimes et adopter une posture moralisatrice. Leur unique réponse pour ne jamais assumer les actes de violence incomparablement plus graves des islamistes a toujours été le déni catégorique à travers l'éternel "qui vous dit que c'est un islamiste, vous nous accusez sans aucune preuve matérielle estampillée du sceau de la certitude absolue, Ennahdha n'a rien à voir avec ça". Mais bien entendu là c'est tout le camp progressiste, malgré la multiplicité des partis, des sensibilités et des opinions, qui est réduit au geste d'une seule personne et accusé d'extrémisme, de dogmatisme et, bien évidemment, d'impiété .
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Or pas un seul ne s'est pourtant exprimé sur l'agression violente qu'a subie le journaliste Sofiene Ben Hamida lors de cette même journée.