Sur la base de ce qu’il avait démontré depuis le début de la saison (vainqueur de Paris-Nice, du Tour de Romandie et du Critérium du Dauphiné), la logique a été respectée mais à l’issue de l’un des Tours de France les plus ennuyeux de l’après-Guerre ! Deux leaders seulement depuis le départ, et surtout un maillot jaune jamais mis en difficulté par qui que ce soit tout au long des trois semaines, à l’exception de son propre équipier Froome, si celui-ci l’avait voulu vraiment vers La Toussuire ou sur les hauteurs de Peyragudes. Mais Froome, comme à la Vuelta 2011, était au service de Wiggins et il respectera jusqu’au bout cette soumission forcée. A charge de revanche désormais, car le dauphin a les qualités pour être sacré à son tour.
Pour les Sky et Wiggins, grand dominateur des deux épreuves chronométrées où ses longues jambes tournaient comme des bielles dans un bain d’huile, et qui s’est défendu en montagne (14 jours maillot jaune), c’est un triomphe total mais le spectacle s’en est ressenti. Aucun rebondissement, aucun suspense. Un Tour à la Indurain, contrôlé, cadenassé par une formation anglaise surpuissante, solide et bien organisée autour de son leader. Un collectif sans faille, ni faiblesse. Une belle aventure magnifiquement préparée
à partir d’un échec douloureux en 2011 (chute de Wiggins et fracture de la clavicule ) qui est à la base de la réussite actuelle. En professionnel jusqu’au moindre détail, Wiggins s’est reconstruit pour signer le plus grand, le plus bel exploit de sa carrière en dépit de ses titres mondiaux et olympiques sur piste.
Déjà quatrième en 2010, il n’est d’ailleurs pas le premier à avoir réussi pareille performance. L’élégant Suisse Hugo Koblet y est parvenu avant lui dans les années cinquante. Formé à l’école de la piste dès 1945, le Zurichois s’était d’abord affirmé dans les Six Jours aux Etats Unis et en Europe avec ses compères Diggelmann et von Büren. Spécialiste de l’américaine, il s’était aussi révélé comme un poursuiteur de grande qualité
face aux Coppi, Carrara, Patterson, Schulte, Bevilacqua avant de remporter le Giro en 1950, puis le Tour de France en 1951. Il y a plus de soixante ans.
La comparaison s’arrête là car d’une part Koblet attaquait en montagne, et d’autre part l’opposition était, à l’époque, autrement plus coriace et prestigieuse que celle de 2012 représentée par les seuls Nibali et Van den Broeck. Un duo italo-belge bien intentionné, certes, jamais résigné, mais vite à cours d’arguments et de munitions pour mettre à mal la forteresse Sky et bouleverser véritablement une hiérarchie où Wiggins et Froome étaient solidement installés depuis l’arrivée à la Planche des Belles-Filles et le chrono de Besançon.
La déception est surtout venue de Cadel Evans, le vainqueur sortant, distancé vers La Toussuire et surtout défaillant dans les Pyrénées malgré le sacrifice de son jeune équipier américain Van Garderen, l’une des révélations. A 35 ans, l’Australien n’a pas été cette année à la hauteur de ses espoirs et de ses ambitions et surtout il n’a pas pu évoluer à
son meilleur niveau. Dommage pour le spectacle et pour le suspense ! Il aura fallu une seule étape dans les Alpes pour révéler les carences d’Evans et condamner l’opposition, privée cette année d’Andy Schleck et Contador, à faire de la figuration. Un constat affligeant qui n’enlève rien aux mérites de Nibali et Van den Broeck. Mais force est de constater que l’intérêt de ce Tour 2012, lancé par la victoire du Suisse Cancellara à Liège (sept jours en jaune), a surtout valu finalement par des événements en marge de la lutte pour le maillot jaune : la conquête du maillot à pois rouge par le formidable Voeckler, l’avènement du jeune Sagan (maillot vert à 22 ans) et les exploits individuels des Pinot, Rolland, Millar, Luis-Leon Sanchez, Pierrick Fedrigo, Mark Cavendish notamment.
Pour le reste, on retiendra la « première » réussie par un Anglais sur les Champs Elysées. Il fallait bien que cela arrivât un jour. Mais pour le panache et les émotions, il faudra repasser !
Bertrand Duboux