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Harlequin attaqué en justice aux Etats-Unis

Par Eguillot

Harlequin, maison d'édition spécialisée dans les histoires d'amour à l'eau de rose, n'en vit plus une de toute évidence avec trois de ses auteurs. On pourrait même parler de cas de divorce, puisque les auteurs américains en question l'attaquent en justice. En cause, des droits d'auteur faméliques sur les ventes d'ebooks. Au motif de contourner les taxes, Harlequin a en effet utilisé une société écran basée en Suisse, société qui ne donne à ses auteurs qu'entre 24 et 32 centimes par ebook vendu 8 dollars. Cette affaire est symptomatique des changements très nets en cours dans l'édition aux Etats-Unis. (Sources : le blog de Joe Konrath, The Passive Voice).

Utiliser une société-écran basé en Suisse pour échapper à l'impôt, les multinationales savent faire. Mais qu'une maison d'édition en profite pour obliger ses auteurs à licensier leurs ebooks à cette société en question,  en leur offrant seulement 3% de droits d'auteur sur leurs ebooks, c'est relativement nouveau.

En fait, pas tant que ça pour les connaisseurs, d'ailleurs. La plainte concerne en effet une période s'étalant de 1990 à 2004. (Apparemment, Harlequin use aussi de la même stratégie pour les droits dérivés concernant les traductions d'oeuvres). Je ne vais pas m'étendre sur les mécanismes de l'arnaque, vous pouvez consulter ce lien pour un résumé de la plainte.

Ce procès aurait-il pu avoir lieu en l'an 2000 ? Pourquoi les auteurs lésés n'ont-ils fait appel à un avocat qu'en 2011 (ils se sont efforcés d'obtenir un accord à l'amiable depuis octobre 2011, mais cela n'a pas été possible) ?

Mon interprétation personnelle : parce qu'ils avaient peur de "se faire griller" dans le milieu de l'édition. D'être mis sur liste noire. Il leur fallait réunir les preuves, bien sûr, mais je suis certain que c'est la peur de ne plus être publié nulle part qui explique, de manière générale, que les auteurs soient aussi peu nombreux à intenter un procès à leur éditeur. Alors, qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi certains osent-ils, à présent ?

Eh bien, parce qu'il y a une alternative. En 2010, les ventes d'ebooks représentaient 5% du total du marché du livre aux Etats-Unis. En 2011, c'était 15%. Et pour les trois premiers mois de 2012, on en est à 25%.

Attention, on parle de 25% du marché total du livre. C'est à dire que pour ce qui est de la littérature sentimentale, où les lecteurs (surtout des lectrices) recherchent des livres pratiques et pas cher, on a à mon avis dépassé les 50%.

Et des auteurs comme Ann Voss Peterson, une ancienne d'Harlequin, ont compris qu'elles pouvaient gagner beaucoup, beaucoup plus en s'autoéditant sur Amazon, Kobo, Apple et autres, et en recevant 70% du prix de chaque ebook vendu. Cela veut dire une chose : l'attrait du livre papier en librairie n'est plus suffisant pour de nombreux auteurs. Je le redis une autre fois parce que c'est une révolution, l'attrait du livre papier en librairie n'est plus suffisant pour de nombreux auteurs.

Cela ne vaut plus le coup, ni le coût, de sacrifier 90 à 97% de ses droits d'auteurs (dans le cas d'Harlequin, et 90 à 82,5% dans la plupart des autres cas) pour avoir ses livres en librairie, puisqu'il se vend plus de livres du genre concerné sous le format ebook.

Je n'ai malheureusement pas les chiffres genre par genre, je dois me contenter d'un instrument assez imprécis nommé pifomètre. Mais je suis à peu près certain que pour la SF, la Fantasy, le thriller et le roman d'amour, on est au-dessus de 50% des ventes totales de livre en numérique par genre concerné aux Etats-Unis.

Si quelqu'un possède des statistiques précises là-dessus, qu'il ou elle n'hésite pas à me les donner en commentaire, avec un lien. Celles-ci sont vitales pour tous les auteurs français qui auraient pour projet de traduire leurs oeuvres en langue anglaise.

Il est en tout cas indéniable qu'il y a un basculement. Les auteurs ont moins peur. Ils se regrouperont pour avoir moins peur encore à l'avenir, et il y aura d'autres procès. Le modèle économique de la grande édition, celui de l'esclavage consenti, est en train d'être remis en question, et ce n'est pas près de s'arrêter. Pour le plus grand bonheur des premiers concernés, les créateurs.


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