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De qui se MOC t-on ?

Publié le 21 mars 2008 par Edgar @edgarpoe

Oui, le titre est un peu faible. Mais la Méthode Ouverte de Coordination ne mérite guère mieux.

Tel est en effet le nom de ce qui remplace la politique aujourd'hui (débattant avec un pro-européen auprès de qui j'estimais que l'Europe n'avait pas de politique économique, il m'expliqua qu'il y avait la MOC). Pour décrire la MOC, je me réfère à un passionnant billet du blog Nouvelle Europe, blog sympathique quoique pro-européen.

Explicitons d'abord la chose. La MOC est définie ainsi :

A la régulation par le droit, la MOC oppose la régulation par la cognition : elle se fonde en effet sur l’élaboration, au niveau européen, de lignes directrices à long terme et d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs appropriés, traduit par les Etats membres en politiques nationales, dans le cadre de Plans d’action nationaux (PAN), qui font ensuite l’objet d’une évaluation multilatérale périodique. Le but est d’atteindre un certain degré de convergence des politiques nationales non pas à travers la contrainte normative mais grâce à l’échange d’information et de bonnes pratiques, à la comparaison des performances (benchmarking) et à l’évaluation multilatérale (peer review).

Pour ceux qui pensaient que le vote sert encore à quelque chose... Il s'agit donc d'un processus de contrainte volontaire, un mécanisme dans lequel les états s'engagent à soumettre leurs politiques à évaluation.

Et ceci concerne tous les domaines. Je me souviens de débats au moment de l'adoption du Traité Constitutionnel, avec de braves européens m'expliquant combien l'Europe avait peu de compétences, et en tout cas certainement pas des compétences dans les domaines du travail ou de l'emploi.

Le billet évoqué fournit l'occasion de revenir sur ce sujet :

D'abord en rappelant l'existence de contraintes cadres pour les politiques économiques :

Le Traité de Maastricht avait en effet inséré la coordination des politiques économiques parmi les objectifs de la Communauté et avait instaurée une procédure pour encadrer cette coordination, avec l’élaboration de grandes orientations des politiques économiques (GOPE) de la part du Conseil et la mise en place d’un ensemble de mécanismes de surveillance multilatérale, transmission d’informations, suivi et évaluation. Le Conseil hérite notamment de la faculté d’adresser des recommandations aux Etats dont les politiques économiques ne sont pas conformes aux GOPE ou risquent de compromettre le bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire.

Ensuite en ajoutant une couche de recommandations plus détaillées dans le domaine des politiques de l'emploi :

Par la suite, le Traité d’Amsterdam introduit les « lignes directrices pour l’emploi » (qui doivent être compatibles avec les GOPE), dont le respect de la part des Etats membres est régulièrement évalué par le Conseil, et qui peuvent être accompagnées de mesures facilitant l’échange d’information et de bonnes pratiques, les analyses comparatives et les approches novatrices, instruments applicables également à la politique sociale .

Et devinez quelles genres de politiques pour l'emploi sont prônées par la MOC ?... Tout est là, dans une phrase qui explique comment la politique de l'emploi actuelle risque d'être inadaptée aux pays nouvellement entrants dans l'UE (rien ne dit que cette politique toute néo-classique de conception soit aussi adaptée aux anciens entrants..)  :

l’accent mis sur les politiques actives du marché du travail dans le cadre de la Stratégie européenne pour l’emploi (qui en fait l’instrument privilégié d’adaptation de la main d’œuvre aux changements structurels), est moins pertinent dans des Etats [ nouveaux entrants] qui ne connaissent pas le phénomène des « trappes à inactivité », typique des systèmes caractérisés par une rigidité du marché de l’emploi et une forte protection sociale. Le faible montant et la courte durée des allocations de chômage rendent inutiles des politiques destinées à favoriser le retour au travail et déplacent plutôt l’accent sur le besoin de mesures d’aide aux chômeurs. [c'est dingue les nouveaux entrants : ils obligent à aider les chômeurs. Berk]

Voilà au passage pourquoi voter Sarkozy, Delanoë ou Ségolène, c'est un peu pareil : ce seront les mêmes GOPE, la même MOC qui s'appliqueront. Autant avoir à l'Elysée un président bling-bling, au moins on a de quoi alimenter Paris Match (quatre pages sur le SMS hier dans Libé)...

Mais pourquoi la MOC, au fait ? La MOC est la réponse à un problème des technocrates européens (et des pro-européens qui nous gouvernent trop souvent) : comment extorquer des compétences nationales sans éveiller les soupçons des citoyens ? Comment continuer la politique des petits pas vers un état européen centralisé sans jamais l'avouer ?

En langage poli :

Conçue dans le cadre restreint du marché commun, la méthode communautaire s’est ensuite étendue à un nombre croissant de domaines, se rapprochant de plus en plus du cœur de la souveraineté nationale. Tout en étant la marque de son succès, cet effet de spill-over (ou d’engrenage) de la méthode communautaire constitue en même temps sa faiblesse : les Etats membres, mais aussi les opinions publiques, s’opposent en effet à toute intrusion d’une autorité supranationale dans des domaines sensibles comme la politique étrangère ou la coopération judiciaire et policière. La MOC est donc vue comme un moyen de faire avancer l’intégration même dans ces domaines, sur des bases plus volontaires et en évitant les transferts de souveraineté.

Il s'agit bien de faire ce que l'on veut dans tous les domaines sans éveiller les soupçons de l'opinion. Je défie n'importe quel pro-européen censé d'expliquer que ce n'est pas du tout le cas.

Au passage, et voilà pourquoi l'Europe est néfaste, elle sert à dé-responsabiliser les gouvernements de leurs politiques :

Un gouvernement pourra ainsi être amené à respecter les recommandations du Conseil qui mettent en évidence ses carences par rapport aux autres Etats membres, afin de gagner l’estime des partenaires et éviter les reproches de son opinion publique. Il pourra même profiter de ce « levier » extérieur pour légitimer des réformes qu’il avait l'intention d'adopter mais qui n’avaient pas suffisamment de soutien au niveau interne.

L'Europe fonctionne donc, en son coeur, au delà de ses compétences formelles, comme une machine antidémocratique. Toujours suivant Nouvelle Europe :

la MOC s’expose encore plus que la méthode communautaire aux critiques de déficit démocratique dont la construction européenne fait souvent l’objet. Non seulement le Parlement européen est écarté du processus, mais celui-ci échappe même aux Parlements nationaux, auxquels le Traité de Lisbonne réserve désormais le rôle de gardiens du principe de subsidiarité sur tous les actes normatifs européens, mais qui ne sont souvent pas informés de ce qui se passe en dehors du processus législatif ordinaire.

Au coeur de la MOC, évidemment, la Commission :

La Commission intervient en effet à plusieurs niveaux dans le processus : c’est d’abord elle qui présente au Conseil européen le « paquet mise en œuvre » (contenant le rapport de mise en œuvre des GOPE, le projet de rapport conjoint sur l’emploi et le rapport d’application de la stratégie du marché intérieur), ainsi qu’un rapport indiquant les progrès nécessaires et les orientations principales, le rapport de Cardiff et le rapport sur les aides d’Etat, sur l’innovation et la politique d’entreprise. Ensuite, après que le Conseil européen de printemps, sur la base de ces rapports, a évalué les progrès réalisés et proposé les orientations politiques générales, la Commission présente un « paquet orientations », comprenant les GOPE et les lignes directrices pour l’emploi. Le Conseil européen de juin adopte ce paquet, tout comme les différentes formations du Conseil pour les parties de leur compétence. A la fin de l’année, la Commission évalue les informations transmises par les Etats membres sur la mise en œuvre des orientations, en jetant ainsi les bases pour le « paquet mise en œuvre » suivant. [...] En conséquence, on s’éloigne de la configuration en réseau et participative, incluant autorités communautaires, nationales et locales, partenaires sociaux et ONG, que la MOC était censée promouvoir, pour un système plus centralisé.

Voilà. Parvenus à ce stade, il ne reste plus qu'à tirer le rideau sur la démocratie. On aboutit à un système pas très éloigné de ce que décrit Tocqueville comme étant une perversion possible de la démocratie :

Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, prévoyant, régulier et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

Les optimistes proeuropéens considèreront qu'il ne s'agit que de la énième version du déficit démocratique déploré dès la construction européenne. Comme le souligne Olyvier, il est grand temps que l'Union rende des comptes et cesse de ne se concevoir que comme mouvement (le parti-mouvement, c'est la définition du totalitarisme chez Hannah Arendt, by the way...)


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