Revoilà bientôt la magie du mois d’août où, enfin, la population parisienne, débarrassée de tous les importuns qui viennent de la lointaine et pouilleuse banlieue pour travailler, pourra retrouver sa capitale si accueillante, si propre, si ensoleillée et si calme. Et alors que de charmantes brigades de clowns et de mimes vont pouvoir fondre dans les rues joyeuses pour calmer les ardeurs des badauds un peu trop bruyants, la capitale française s’apprête à prendre ses quartiers d’été avant d’engluer définitivement sa population dans une circulation anémique d’outre-mangeur hyper-cholestérolé.
C’est donc décidé, par Notre Dame de Paris-Plage lui-même : cette année encore, pour la onzième fois, le mois d’août verra s’ensabler les quais de Seine pour le plus grand bonheur des touristes (qui ne payent pas la taxe d’habitation parisienne), des banlieusards (qui ne payent pas la taxe d’habitation parisienne) et des frétillants bobos (dont une bonne partie ne paye pas non plus la taxe d’habitation parisienne). Le bonheur des Parisiens qui, justement, payent la taxe d’habitation et qui ont commis l’erreur de rester pour travailler pendant le mois d’août, sera franchement tempéré par les effets de bords de l’amusante installation plagiste, comme les inévitables embouteillages que cette fermeture des quais provoque immanquablement, et l’appauvrissement sensible de leur pouvoir d’achat, tout aussi mécanique. Quant au bonheur des Parisiens qui ont, justement, choisi de partir en vacances à ce moment-là, on peut comprendre qu’il sera lui aussi fortement modéré par le fait simple qu’ils auront, de toute façon, eux aussi à payer la taxe d’habitation parisienne sans avoir pu profiter du bricolage delanoësque (mais après tout, ces cons ont choisi la mauvaise période pour partir, c’est donc bien fait pour eux).
Mais la Ville Lumière sert, rappelons-le, de phare de la pensée moderne et de fanal inoubliable pour tous les artistes spécialisés dans l’événementiel de grande envergure. Elle doit donc pouvoir, de temps en temps, s’enorgueillir soit d’un magnifique caca thermomoulé, soit de ce genre de dépenses poudreuses (et un peu humides avec la météo qui court) : en donnant ainsi à toute une population évidemment défavorisée l’accès à la plage et ses activités, la capitale du pays que le reste du monde envie secrètement montre encore une fois le chemin d’une société plus bisou et surtout plus festive puisque le bordel concept aura été copié dans d’autres grandes villes, elles aussi toutes heureuses de trouver là une raison en béton armé pour claquer des thunes au mois d’août.
Mais, et c’est là qu’on tique un peu, l’un des arguments qui fit se développer ce projet précisément en août était à l’époque que la circulation, à ce moment-là, est suffisamment peu importante pour que l’axe majeur que constituent les quais puisse être fermé sans trop gêner la circulation. On comprend donc, en contraposée, que fermer les quais le reste du temps provoquerait probablement un engorgement du reste de la capitale. Malgré l’apparente simplicité et logique de ce raisonnement, la Mairie de Paris est restée ferme et a décidé que finalement, non, ça ne poserait pas de problème de transformer radicalement ces quais dans les prochains mois : sur la rive droite, le projet prévoit l’installation d’un joli quintuplet de feux colorés (entre les ponts d’Iéna et de Sully) dont on peut parier qu’il vont fluidifier les échanges automobiles, surtout lorsqu’on sait que les voies seront rétrécies. Sur la rive gauche, on ne s’embarrassera pas de demi-mesures et on va donc purement et simplement fermer à la circulation un tronçon de 2,3 km.
Yabonbouteillages !
Je vous passe les péripéties qui auront accompagnées le chambardement de ces quais, enquiquinements politiques multiples et atermoiements financiers divers qui s’éteignirent assez vite une fois Normal 1er arrivé en poste. Fillon avait bloqué le projet, le vil, le fourbe, l’anti-Paris-Aux-Parisien. Ayrault l’aura débloqué, rendant Paris aux Parisiens dans un geste aussi auguste que peu coûteux. But avoué de toute cette opération ? Selon la municipalité, il s’agit bien sûr de « Faciliter l’accès aux berges et leur réappropriation par les Parisiens ». Les Parisiens à pied, en vélo et en poussette, s’entend, pas les autres gros cons de Parisiens en voiture, ne mélangeons pas tout !
Le pompon est bien sûr atteint par toute la cohorte de vibrants imbéciles suivistes qui adoubent de leurs études flagorneuses les lubies du Maire, et qui arrivent à prouver que la fermeture des berges décrétée ainsi unilatéralement ne provoquera pas de problèmes majeurs ; mieux, selon la direction de la voirie, dont on ne doutera pas une seconde de l’impartialité, le trafic se reportera gracieusement là où on lui dira de se reporter, et ça ira très bien les enfants, mais si mais si. Ainsi, la vitesse « de pointe » lors d’une traversée de la ville d’ouest en est tombera selon ses petits calculs de 24 à 20 km/h, et portera le temps moyen de parcours de 31 à 37 minutes en heure de pointe. Et six toutes petites minutes de plus dans une vie de Parisien détendu de la Paris-plage, c’est trois fois rien. D’autant que ça ne s’ajoute pas (enfin, si peu) aux autres vexations aménagements débiles judicieux pour stigmatiser les automobilistes favoriser les transports en commun, et propositions finaudes d’interdire complètement les 4×4 et autres véhicules diesel (non, ce n’est pas une blague).
On s’en doute : ces projets divers et variés viennent s’agglutiner en un tout qui est, lui, parfaitement cohérent. Delanöe et toute son équipe de constructivistes farouchement anti-pauvres ne peut pas supporter cette crasse automobile, ces pouilleux qui viennent perdre leur vie en la travaillant à Paris, et l’équipe œuvre donc d’arrache-pied à transformer la capitale en écrin verdoyant pour artistes subventionnés, bobos déconnectés de la réalité, étudiants dilettantes et autres glandouilleurs comme la République en produit par paquets grâce au bon soin d’un socialisme débridé et d’autant plus décontracté qu’il est accepté par ceux qui le subissent pourtant de plein fouet. Petit à petit, Paris se vide, par la force, de ses voitures. Paris se vide aussi, mécaniquement, de ses artisans, de ses ouvriers, de ses travailleurs, de ses salariés qui, bientôt, n’en pourront plus des loyers artificiellement exorbitants, des vexations permanentes à la surface et des agressions (verbales, physiques, olfactives, visuelles) systématiques en sous-sol.
La prochaine étape semble évidente, et elle consistera à couler l’ensemble de la ville dans une bonne quantité de résine transparente. Le bonheur socialiste delanoesque sera alors parfait : tout, enfin, sera immobile, figé, et restera intact pour l’éternité, sous les applaudissements de la Socialie triomphante.