Laurence Anyways de Xavier Dolan

Par Juloobs

Synopsis : Laurence Anyways, c’est l’histoire d’un amour impossible.
Le jour de son trentième anniversaire, Laurence, qui est très amoureux de Fred, révèle à celle-ci, après d’abstruses circonlocutions, son désir de devenir une femme.

Avec Melvil Poupaud (Laurence), Suzanne Clément (Fred), Nathalie Baye, Monia Chokri…

3 films. 4 ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Xavier Dolan pour atteindre la maturité (ou la plénitude) cinématographique. Bien que son premier film, J’ai tué ma mère était déjà un bijou, réalisé par un gamin de 19 ans à l’époque, incarnant un enfant gâté au visage angélique, dans un habile dosage d’auto-fiction, de fiction et de documentaire…

Il faut dire que pour tourner Laurence Anyways, Xavier Dolan s’est extrêmement bien entouré, en témoigne les contributions d’Yves Bélanger (à la direction photo), d’Anne Pritchard (aux décors, my God !), ou encore François Barbeau aux costumes. Sans parler des acteurs-performers : Melvil Poupaud, étonnant et Suzanne Clément, sensationnelle. Ce qui permet à Xavier Dolan de créer un film débordant de créativité, de foi dans le septième art, de travail et de talent(s). En bref, après avoir déjà démontré un potentiel énorme à travers ses deux premiers longs (quoique Les Amours imaginaires aient déjà pris un léger coup de vieux comme le redoutait Chronic’art à la sortie du film, bien vu) Xavier Dolan – aux commandes d’un film casse gueule qu’il rend universel – explose tout !

Aux post-ados en crise des Amours imaginaires, fait place dans Laurence Anyways à l’être le plus seul au monde : un néo-trans’ (Poupaud) qui choisit de rester avec sa copine (Clément). Aux amours imaginaires succède l’amour impossible, destructeur. Mais jamais ennuyeux. Le choix d’un tel sujet permet au film d’échapper à l’esthétique publicitaire qui guettait dans Les Amours imaginaires.

Tout au plus, les 20 premières minutes de Laurence font redouter le pire : un espèce de clip musical de de 2h39, avec des touches felliniennes, sublimes mais sans substance. Dans ce cas, la bande-annonce aurait amplement suffi. Mais après un prologue qu’il faudra nécessairement revoir, foutraque à souhait, le bon vieux réalisme Bazinien refait surface ; lorsque Laurence (Laurent ?) annonce qu’il veut se travestir. Laurence et Fred vont se haïr, se retrouver, s’aimer, se séparer. Et pas nécessairement dans cet ordre.

Dolan fait donc de l’universel avec un matériau marginal. Il se saisit d’un problème communautaire mais focalise sur la difficulté du couple qui tente malgré tout de composer avec  cette différence affichée, placardée. Il faudrait avoir la force d’un super-héros pour outrepasser les considérations bien-pensantes qui viennent aggraver le problème. Peut-on vivre dans la différence et s’en réclamer sans y laisser toutes ses plumes ? Cette relation particulière se dirige nécessairement vers une impasse et s’effrite.

La mise en scène, la mise en images est pétrie d’une passion communicative. L’agencement d’influences multiples donne lieu à un film singulier. Laurence Anyways est un pur objet de cinéma, au sens maniaque, fétichiste du terme. Mais son aspect “social” lui permet d’être opérant à divers niveaux. Au moins deux. Pur film de cinéma et cinéma militant. En ce sens, Dolan , et non Nolan (!),  s’inscrit dans la continuité d’Almodovar et se différencie du travail de Gregg Araki auquel on pense aussi beaucoup en voyant Laurence Anyways.

A l’opposé des post-ados affectés et un peu capricieux des Amours imaginaires, Laurence est un vrai drame, esthétisant certes, mais la pose permet de caractériser les personnages. C’est le drame des gens “spéciaux” (il en est déjà question dans J’ai tué ma mère, largement autobiographique, et c’est Dolan himself qui joue le gamin spécial de 16 ans envoyé en pension) qui échappent un temps à la vision conformiste, consensuelle et étriquée du monde, tant que cette différence constitue une énergie motrice. Ici, le transsexuel lutte peu à peu pour survivre, en écrivant de la poésie, il tire visiblement la matière de ce rejet et de sa sensibilité alors exacerbée. Mais il vit dans la solitude (le film aurait peut-être pu insister davantage sur ce point, pas vraiment cinégénique) sans voir son père.

Laurence Anyways questionne le rapport à la “normalité”, l’appartenance à un groupe dominant. Par exemple l’hétérosexualité. Il figure, dans l’excès, forcément, la différence revendiquée, d’autant plus gênante qu’elle semble juste car perçue comme la voie du bien-être du transsexuel.

Laurence Anyways est assurément l’un des meilleurs films de l’année. En fait seuls des cinéastes tels que Fincher (Millenium) ou Audiard (De rouille et d’os) ont fait preuve d’autant de maîtrise formelle. De plus, le dernier Dolan affiche la même intelligence qu’un Week-end (Andrew Haigh) ou Avé (Konstantin Bojanov). Ce Laurence Anyways est à mon humble avis, bien que très influent, est au-delà des attentes (très élevées). Car Dolan franchit encore un cap et se révèle être un vrai cinéaste. C’est le big film de l’année Tabernak. Ouais tsé !