JE est une gageure majuscule, un ersatz du moi et des années suivantes.
JE trinque à la santé de son ombre qui rode à toute heure et en toute circonstance même et surtout quand elle est invisible.
JE est à la merci des flots qui l'entourent, des courants contraires et des récifs à peine présentables même sous le halo des phares les plus en vogue.
JE est une île minusculement immense où JE se perd où JE s'avance à pieds joints, à reculons, à colin maillard, à qui perd gagne, à ses souhaits, à ses amours, à ses remords à ses regrets...
JE est une blessure toujours ouverte au sel de la vie..
JE est un spectacle permanent ou JE remplit tous les rôles et les conditions sine qua non.
JE prend le relais. JE vide son sac et entre les deux,
à flots
JE n'y comprend rien
et
son coeur s'en balance.
JE est l'Unique.
-Chanson de l'étranger-
"Je suis à la recherche d'un homme que je ne connais pas, qui ne fut tant moi-même que depuis que je le cherche; A-t-il mes yeux, mes mains et toutes ces pensées pareilles aux épaves de ce temps? Saison des mille naufrages, la mer cesse d'être la mer devenue l'eau glacée des tombes. Mais plus loin qui sait plus loin? une fillette chante à reculons et règne la nuit sur les arbres, bergère au milieu des moutons; Arrachez la soif au grain de sel qu'aucune boisson ne désaltère; Avec les pierres, un monde se ronge d'être,comme moi, de nulle part."
-Edmond Jabès-
A FORCE DE M'ECRIRE...
"A force de m'écrire je me découvre un peu je recherche l'Autre
J'aperçois au loin la femme que j'ai été Je discerne ses gestes Je glisse sur ses défauts Je pénètre à l'intérieur d'une conscience évanouie J'explore son regard comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel sans réponse et sans voix Je parcours d'autres domaines J'invente mon langage et m'évade en Poésie
Retombée sur ma Terre j'y répète à voix basse inventions et souvenirs
A force de m'écrire je me découvre un peu et je retrouve l'autre."
-Andrée Chedid-
IL FAUT RESTER ICI...
"Il faut rester ici,
les genoux fleuris au beau milieu des ruines
et de la poussière
De douceur les enfants ont payé
(de violence ne parlons guère),
de douceur les enfants des grandes ville de cendre
il faut accrocher aux arbres et aux jambes
des messagers d'eau et de grandeur...
Voici la petite chaise de ton enfance
où tes parents gravaient la hausse de ta solitude;
Tu es restée debout avec le ciel
au fond de toi comme un bouquet de veines;
il n'y a rien au fond de toi
que cette arborescence fauve:
la même que celle des rues,
que celle des affiches de cinéma.
C'est un dimanche après-midi;
je cours sous les enseignes pendant que la pluie se charge
de me ranger dans les tiroirs de la nuit.
Pour une fois j'ai tout compris
j'ai compris que les portes existent ou n'existent pas.
Je vais librement par ce labyrinthe.
J'emporte la petite chaise de mon enfance
où mes parents gravaient la hausse de la solitude."
-Claire Légat-
-Illustrations source: Toile -Les poèmes entre guillemets sont extraits de: "Je est un autre" Editions Seghers-