« La Mouette » d’Anton Tchekhov, créé pour le Festival d’Avignon, prend vie dans un étrange ballet d’hommes et de femmes en noir qui évoluent lentement le long d’une palissade courbe, en harmonie avec le Palais des Papes, où la pièce est jouée depuis vendredi.
La Mouette – Photo AFP
Tous ont une large tête de mouette et les pieds nus et noirs, comme des oiseaux marins dont les pattes s’enfoncent dans le gravier gris d’une grève, à l’orée d’un lac asséché. Ils forment un cercle autour d’un homme mort, le portent en procession jusqu’à lui redonner vie.
Dans cette mise en scène d’Arthur Nauzyciel, la pièce de Tchekhov commence par sa fin: le suicide d’un jeune auteur, Tréplev, qui rêve d’un nouveau théâtre. L’oeuvre se reconstruit sur le corps de ce personnage, lui permettant de retraverser sa vie, par delà la mort.
Arthur Nauzyciel, invité pour la quatrième fois par le Festival d’Avignon, voit en effet la scène comme un endroit où parler permet de ressusciter les morts. Elle est pour lui un « lieu de réparation », de « consolation fragile » où Tchekhov sauve les âmes par l’écriture comme il soignait les corps, en tant que médecin.
Dans ce décor étrange, où la frontière entre rêve et réalité se dilue, la grandiloquence des acteurs, dont les corps se figent en des poses outrancières, insuffle un souffle épique à la pièce, en dépit de sa mélancolie. Elle y mêle aussi, en décalé, l’humour.
Dans « La Mouette », tout premier chef d’oeuvre de Tchekhov, personne n’aime celui qui l’aime: Tréplev aime Nina, qui aime Trigorine, un écrivain renommé, amant de la mère de Tréplev, tandis que Macha aime Tréplev et ainsi de suite. En dépit de cette folle sarabande, la pièce est dénuée d’actions, et la mise en scène, lente, emphatique, met en relief ce vide, chorégraphié par Damien Jalet.
La musique du duo Winter Family, entraperçu à travers la plus grande fenêtre du Palais des Papes, et du chanteur folk anglais Matt Elliott, qui vient chanter sur scène, exacerbe la nostalgie et la solitude des personnages, dont les paroles passent de l’un à l’autre sans être entendues.
« Je l’aime au désespoir », dit Nina à propos de Trigorine, et tous laissent glisser le bonheur entre leurs doigts.
Pour Arthur Nauzyciel, la pièce est une tragédie et sa mise en scène sous-tendue « par une forme de colère intérieure« .
Aujourd’hui, explique-t-il, « nous vivons dans un monde très dur pour les artistes ». C’est pourquoi, selon lui, la pièce commence par la mort de Tréplev, qui veut créer un théâtre nouveau. « Un théâtre qui échappe aux lois du divertissement et de la facilité », alors même que « nous vivons une époque de dévastation politico-culturelle », selon le metteur en scène.
VN:F [1.9.18_1163]please wait...Rating: 0.0/10 (0 votes cast)VN:F [1.9.18_1163]Rating: 0 (from 0 votes)Pour lui, « La Mouette » développe une position sur l’art, ou s’affirme « la nécessité de l’imaginaire, de la beauté, pour donner du sens à la vie ».