Quand j'ai vu la couverture du livre de Kyra Dupont-Troubetzkoy au dernier Salon du Livre de Genève, j'ai bien aimé le contraste entre le gros ventre appuyé contre le cher et tendre et la batte de base-ball derrière le dos, tout en me disant que je devais lire ce petit essai en cachette de ma femme pour ne pas lui donner de mauvaises idées.
Comme j'ai pensé tout haut, l'auteur m'a suggéré avec malice de le couvrir sans tarder, ce que d'aucuns font quand ils lisent un ouvrage au titre sulfureux...
La narratrice, Marie Julliard, a trente-cinq ans. Elle est journaliste, "bobo, intello, précaire", intéressée par l'environnement. Elle écrit sur le réchauffement, la pénurie alimentaire, la crise énergétique. Banal.
Un jour, lors d'un vernissage, Marie rencontre Paul Rocagel, ingénieur, qui "travaille depuis des années à trouver des alternatives au béton, à la coupe de bois sauvage". Les divagations artistiques de Marie n'ont pas l'heur de le séduire.
Deux jours plus tard Marie participe à une conférence de presse à laquelle Paul participe. Elle lui pose des questions qui doivent être plus convaincantes, puisqu'il demandera sa main quatre ans plus tard, qu'ils se marieront et auront ... deux enfants.
En trente-six épisodes, dont certains comportent deux, trois ou quatre sous-épisodes, Marie raconte sa vie conjugale, avec Paul, dans un désordre chronologique qui ne nuit pas au récit, avec quelques flash-backs sur son enfance qui expliquent bien des choses.
La vie conjugale n'est pas seulement la vie d'un couple qui roucoulerait sur une île déserte. Il y a aussi les autres - dont Sartre disait qu'ils sont l'enfer -, les parents, le frère, la belle-famille, les amis, garçons et filles. Ils pimentent la vie conjugale, a fortiori lorsque le premier enfant paraît.
En lisant ce petit essai assassin on se rend compte que si des choses ont indéniablement changé en une génération - l'auteur a 20 ans de moins que votre serviteur - les tendances lourdes, et les contingences, demeurent, ce qui est, ou n'est pas, rassurant, c'est selon...
L'auteur, en tout cas, a du souffle. Tout au long de ce premier roman elle alterne sans faiblir réflexions décalées, auto-dérision, qui s'étend à toute la gent féminine, et flèches décochées aux mâles, qui les méritent d'autant plus lorsqu'ils s'installent dans un ronron télévisuel ou lorsqu'ils émettent des formules toujours plus stéréotypées.
Cet assassinat de la vie conjugale, qui survit tout de même à tous les avatars, est surtout une satire réjouissantes des bobos, qui restent des bourgeois, en dépit de leurs velléités d'être des bohèmes. Il est décidément bien difficile de rompre toutes les amarres et de se réfugier dans un déni de la réalité.
Francis Richard
Petit essai assassin de la vie conjugale, Kyra Dupont Troubezkoy, 224 pages, Editions Luce Wilquin ici