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Bon rétablissement

Par Apollinee

url (5).jpg" C'est peut-être la perspective de l'échéance qui pointe son museau, qui me donne envie de refaire le chemin à l'envers. Je dis ça comme ça, je n'en sais rien, je n'ai pas l'expérience.

C'est la première fois que je suis vieux."

Repêché d'une chute inexpliquée dans la Seine, Jean-Pierre, jeune vieillard solitaire et bougon...diantrement attachant, entreprend un séjour forcé à l'hôpital..

"On m'a vidé les bronches, plâtré ici et là. J'avais dû ricocher sur la pile du pont. Suicide raté, soirée trop arrosée, agression? On se perdait en conjonctures.

Moi, j'étais comateux, et donc sans opinion."

L'occasion rêvée - si l'on peut dire - pour  faire le point sur l'existence, la sienne et celle des autres, et promener le lecteur dans les méandres d'un passé délicieusement banal.

"La vie est un escroc sans scrupules: si on n'y prend pas garde, elle vous plume  à vif et vous laisse repartir avec les poches vides, comme un flambeur ruiné qui sort d'un casino"

L'assujettissement au milieu hospitalier et ses pratiques incongrues revêtent, sous la plume de Jean-Pierre, un comique irrésistible. D'un pinceau incisif, le narrateur brosse une galerie de portraits provocante de causticité et de ..tendresse inavouée.

Plume magistrale, nourrie de verve et de vraie humanité, saisie d'images rafraichissantes, l'auteur de La tête en friche, nous séduit hautement. Elle rejoint , en notre paradis littéraire, la prestigieuse lignée des Anna Gavalda, David Foenkinos et autres esprits de génie...

C'est dire comme je vous en recommande la lecture.

  AE

Bon rétablissement, Marie-Sabine Roger, roman, Ed. du Rouergue, mars 2012, 206 pp, 18,5€

Le roman a été primé du Prix des lecteurs de l'Express 2012

Billet de faveur

AE : Marie-Sabine Roger, vous plonger ainsi dans le corps d’un homme vieux et ... mal en point, relève du double, du triple exploit.  On a peine à croire que le roman a été écrit par une femme, jeune encore. L’observation de la dépendance physique est, elle aussi, magistralement observée.

Marie-Sabine Roger :

Ce n’est ni un choix de style, ni une approche délibérée, c’est plutôt de l’ordre de la rencontre fortuite. Je ne connaissais pas Jean-Pierre, je ne savais rien de lui, et, un beau matin, sans préavis, il s’est mis à me raconter sa vie, comme le font toujours les personnages de mes romans,  et nous avons commencé une cohabitation de près de deux ans, le temps de l’écriture du livre.

Je n’ai jamais vu Jean-Pierre comme le personnage de roman qu’il est, mais plutôt comme un homme réel, en qui j’aurais retrouvé d’une façon ou d’une autre un peu de tous les hommes qui ont partagé ma vie, de près ou de loin. (Et il se trouve que j’ai connu un certain nombre de râleurs…)

Dès la première page  j’ai eu le sentiment d’être, non pas l’auteur du livre, mais sa première lectrice, et la visiteuse quotidienne de Jean-Pierre, dans sa chambre d’hôpital. Assise à son chevet, partageant son plateau-repas, invitée - malgré moi – dans salle de bains, collée au radiateur pour laisser place aux infirmières, médecins, aides-soignantes et visiteurs de tous poils qui envahissaient sa chambre à heures irrégulières et repartaient toujours sans refermer la porte. 

Je l’ai écouté parler, penser, bougonner, fulminer, je l’ai trouvé tout d’abord agaçant, puis de plus en plus attachant et je dois dire qu’il m’a souvent fait rire.

Pour le reste, je n’ai fait que retranscrire de la façon la plus fidèle possible ce que j’ai eu l’occasion « d’entendre » ou d’observer... Aucun mérite, donc !

Quant au fait d’être une femme et d’écrire à la place d’un homme, je ne crois pas non plus que ce soit un exploit : j’aime les hommes (ne vous méprenez pas !), j’ai eu un père, un frère, des compagnons de route, et sur mes trois enfants deux sont des garçons.

Cela ne suffit sans doute pour parler « à la place de », mais il me semble que toute femme attentive peut ressentir - dans une certaine mesure - ce qui se passe dans la tête d’un homme.

Et je crois que nous ne sommes pas à ce point différents, hommes, femmes, les mêmes émotions nous étreignent devant la naissance, la mort, l’amour, la peur de la vieillesse et de la maladie, l’échec ou le succès, et tout ce qui marque un tant soit peu nos existences.

En ce qui concerne l’observation de la déchéance physique, vous le dites vous-même joliment, je suis une femme « encore » jeune – ce qui signifie que je ne suis plus aussi jeune que ça, malgré tout...

De fait, j’aurai bientôt cinquante-cinq ans, me voici depuis quelques temps déjà sur cette pente descendante où le temps à venir se fait obligatoirement plus court que le temps écoulé. Une fois franchie cette ligne de partage des eaux le regard sur la vieillesse s’aiguise au fil des années, et si le mien s’affine de plus en plus c’est peut-être que je commence à me sentir de plus en plus… concernée ?

Jean-Pierre pose un regard un peu catastrophé (et drôle) sur les petites trahisons du corps qui deviennent visibles. Il râle, il peste contre cet organisme qui le lâche, et dont les contours se relâchent. Il dit tout haut ou dans sa tête, mais en tout cas toujours pour lui-même, ce que beaucoup d’homme ressentent mais ne savent pas ou n’osent pas exprimer. Je ne crois pas que la peur de la vieillesse soit l’apanage des femmes, je pense simplement que les hommes se donnent rarement le droit d’en parler ouvertement. Question de fierté ou de testostérone, allez savoir ? Un homme ne devient pas vieux, il prend de l’âge.  Mais dans son cœur, et dans le regard qu’il pose sur lui devant le miroir, je suppose qu’il doit y avoir parfois une légère trouille, certains matins.     

AE : Vous décrivez, dans un passage d’anthologie, la « palette » des douleurs  qui mène parfois à l’expropriation de soi.  D’où vous vient cette science ?

Marie-Sabine Roger :

Je ne reviens pas sur mon âge, inutile de retourner le couteau dans la plaie… Cela suffit pour comprendre que j’ai une certaine expérience de la vie, précisément liée au temps que j’ai passé à la vivre. Une expérience qui comporte les passages obligés de la douleur, du deuil, non seulement le deuil que la mort nous impose, mais celui de la vitalité, de la santé, ou de l’indépendance, que l’on peut malheureusement observer chez nos proches ou nous-mêmes, parfois.

Il m’est arrivé d’accompagner des proches à l’hôpital, pour des temps plus ou moins longs, et des résultats plus ou moins heureux. Cela m’a permis d’observer, de me remplir, et de me souvenir de tout ce qui fait ce monde hospitalier qui est tout, sauf « hospitalier », justement. J’en ai gardé quelques souvenirs marquants, qu’ils soient de l’ordre de la douleur à proprement parler ou de cette expropriation de soi qui peut se faire de maintes façons. Un, marquant, parmi d’autres : mon père, hospitalisé quelques mois après un AVC qui l’avait laissé hémiplégique et aphasique, c'est-à-dire paralysé du côté droit (il était droitier) et incapable de parler. J’allais le voir tous les jours. Le hasard me fait arriver un jour à l’heure du repas, l’aide-soignante venait de lui laisser son plateau-repas, sur lequel il y avait un steak dans une assiette à côté de laquelle se trouvaient un couteau et une fourchette… Je rappelle qu’il était paralysé du côté droit.

Erreur de chambre, je suppose, manque de personnel, sûrement, mais mon père, incapable de parler, n’avait pu signaler l’erreur. Si je n’étais pas venue, la dame aurait sans doute remporté le plateau en disant « Eh bien ? Il n’avait pas faim, aujourd’hui, ce monsieur ? ». Et bien entendu, il n’aurait pas pu lui dire le contraire. Ce jour-là mon père m’a montré le plateau de sa main valide, il a haussé les épaules, et nous avons réussi à en rire, de ce rire sain – et même salvateur - qui peut naître parfois des situations les plus absurdes. Lorsque je repense à cette scène, aujourd’hui, j’en souris encore. 

Ceci dit, je pense qu’il n’est pas indispensable d’aller chercher dans les grandes douleurs pour savoir ce que « douleur » veut dire. Une bonne petite rage de dents, une joyeuse migraine, une belle crise de foie… Je ne vais pas plus loin dans les détails, mais les trahisons des nerfs et des boyaux, tout le monde connaît, a vécu, ressenti, et d’ailleurs on parle souvent de ses souvenirs de maladies et de fractures comme d’un trekking à 8000 ou d’un raid en milieu hostile, dont on serait revenu plus ou moins sain et sauf.  

La douleur, les douleurs, le rapport aux soignants, l’infantilisation du malade aussitôt alité dans une chambre d’hôpital, les horaires improbables, pour ne pas dire imbéciles, la tristesse des plateaux repas et l’inconfort généré par la chaleur des chambres, les soins, la maladie elle-même, sans parler du corps qui renâcle et de la gêne de ceux qui viennent rendre visite, c’est tellement propre à nous tous que chacun s’y retrouve, malade, accidenté, ami, soignant, parent.  

AE : Avez-vous eu des réactions de lecteurs  « alités » ou de personnel  hospitalier, à la parution de ce roman ?

Marie-Sabine Roger :

Des réactions lues dans des blogs, quelques articles dans des journaux de professionnels de santé, très cordiaux à l’égard du livre. Quelques réactions de lecteurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer, dont certains étaient médecins, infirmières, ou dans d’autres branches de la santé publique, et qui avaient ri, ce qui me touche et me rassure, car s’il y a une émotion entre toutes qu’il est bon de partager, c’est bien le rire, justement. Et, plus récemment, rapportés par des proches, deux témoignages d’hommes hospitalisés à qui l’entourage a eu la sournoise idée d’offrir mon livre (influencé par le titre, je suppose) et qui ont également dit avoir ri, et avoir dédramatisé leur séjour à l’hôpital. Et si c’est vrai, tant mieux si j’ai fait œuvre utile !


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