Le générique des Parapluies de Cherbourg (Jacques Demy 1964), c'est quand même la plus belle synthèse entre la musique jouée (par Michel Legrand) et écrite (les parapluies comme des notes de couleur qui ont l'air de se mouvoir sur une partition sans portée). Qu'est-ce que l'on voit au juste? Un simple ballet de parapluies? Ou l'incarnation d'un exact intermédiaire entre des "notes" de musique et des "touches" de peinture en mouvement. Un peu de tout cela à la fois, surtout un pur morceau de cinéma qui emprunte aussi bien au théâtre (le violent panoramique vertical descendant du début donne l'impression que la vue sur Cherbourg est tombée comme un vieux rideau de scène escamoté et que nous sommes désormais sur le plateau nu), à la peinture, à la musique et à la chorégraphie. Une véritable, même si elle est très modeste, oeuvre de synthèse, qui quelque part se paye aussi le luxe de remettre en cause les idées reçues sur les différentes disciplines. Qu'est-ce après tout que la peinture, si ce n'est de la couleur qui bouge , et la musique si ce n'est des notes jamais fixées ? Foin d'une telle interrogation, cette impeccable scénographie abstraite, avec sa science des croisements, des frôlements et des rendez-vous manqués, paraît condenser toute l'intrigue du film à venir, et invite même les amoureux dudit film à la décrypter rétroactivement, pour voir si tout, à l'image du fatum, était déjà écrit
Et tant que nous sommes dans le syncrétisme entre géométrie, jeux de compas, rythme des couleurs et de la musique, je mets aussi cette animation conçue par Philip Glass pour l'émission Sésame Street en 1979.
Si l'on enlève tout les dialogues d'un Rohmer (Pauline à la plage en l'occurrence), mais que l'on cherche à en restituer graphiquement la progression dramatique ? Il en reste cette planche, qui elle aussi, figure en quelques pastilles les attractions, les attirances et les stratégies de contournement de la dynamique rohmérienne.
C'est le travail d'une jeune graphiste, Mathilde Lesueur (voir son travail sur "lire le cinéma", une analyse de l'espace et du mouvement dans divers films, retranscrits de manière uniquement graphique). J'aime assez ce que produit cette condensation visuelle, donnant à voir comment la rigueur scientifique des scénarios de Rohmer génère de la complexité. La signalétique ne donne du film que le squelette, la chair étant amenée par les mots et la lumière. Mais ce que j'aime aussi, c'est de voir, quand on s'approche des différentes "cases", comment chacun des personnages occupe un territoire affectif, voire mental, qui transforme le marivaudage en jeu de go solaire et littéraire.
Tout cela invente l'exact intermédiaire entre le roman-photo et le schéma de navigation sur la Carte de Tendre..., ce qui je pense, aurait été loin de déplaire à Rohmer... (même si je m'avance en disant cela)....