Ce roman pourrait être qualifié de « roman initiatique ». Il conte l’évolution, la véritable métamorphose d’un jeune « bourgeois » appartenant au milieu des métis de type européen (et de culture française) de l’Île Maurice (le même milieu que décrit Marie-Thérèse HUMBERT dans son fameux roman « A l’autre bout de moi »).
Au départ voué à une carrière on ne peut plus balisée – toute tracée vue son appartenance à la « population générale de « l’île arc-en-ciel »- de jeune cadre dynamique dans le secteur privé mauricien, Ernest, l’ambitieux aux dents longues volontiers imbu du privilège que constitue sa couleur de peau et marqué par l’idéal conquérant, ultra-affairiste qui est devenu celui de ce pays, désormais baptisé « le Dragon de l’Océan Indien », va peu à peu, au fil de ses déconvenues sentimentale et de ses diverses mésaventures, revenir, en quelque sorte, à ses penchants créoles « ataviques » de rêverie, de sentimentalisme à fleur de peau, de fascination pour le personnage du bourlingueur (sans doute hérité de ses ancêtre marins bretons et normands) et, en définitive, de douce « bohème » qui, en l’éloignant du cocon cloisonné et bien protégé de son milieu familial et social, le fixeront « dans la brousse », parmi les plus humbles, les déshérités, les exclus.
Doux défi lancé aux préjugés et aux conformismes étouffants de la société mauricienne ? Part d’auto-biographie ? Je pense que ce récit peut être, en effet, interprété comme tel. Il est de part en part traversé par le désir de se trouver propre à la jeunesse, et par le « désir d’évasion » qui ne peut que posséder tout esprit libre dans un contexte aussi étriqué et, de temps à autre, aussi générateur de tensions sociales que celui de Maurice, dont, au passage, l’ouvrage nous livre une fine et excellente observation.
Ce que ce premier roman nous dépeint, c’est la naissance d’une vocation littéraire, l’émergence d’un écrivain. Pour Sylvestre LE BON, l’écriture a toujours part avec la marginalité, et ce n’est pas pour rien que le héros prend Rimbaud pour référence.
Le style du livre est, quant à lui, assez particulier : très imagé, parfois, on le sent, très influencé par l’écriture poétique et par l’esprit contemplatif (son auteur est aussi poète, et poète lyrique de talent), parfois marqué au sceau d’une certaine préciosité un peu désuète, c’est sans conteste, un style qui laisse deviner un premier roman. De magnifiques passages y côtoient des moments plus confus où les phrases se font moins fluides, plus « chargées ».
Mais, d’un bout à l’autre, ce livre est plein du charme, de la magie qu’infuse l’ancienne « Isle de France » (notamment, celle de la localité de Beau Bassin, dont l’atmosphère fascine l’auteur), cette terre fertile s’il en est, par tradition, en gens de plume. Une île loin de toute image d’Epinal, toute en contrastes et en recoins secrets qu’effleure avec délectation le livre : puritaine et sensuelle, « brite brite » et sentimentale, conformiste, petite-bourgeoise et « fofolle » ; irritante et…si attachante !
PL.