Et si le mobile vous offrait une "certaine" poésie ?
Qu'est-ce qu'un smartphone a à faire avec la poésie ? De nouveaux usages, de nouvelles formes, une conception toute neuve jusqu'à en interroger le genre. C'est l'expression proposée par le P.o.E.M.M project, qui éclate les phrases et les mots, reliés par un tracé du doigt sur un écran tactile. Tout un programme.
L'objectif n'est pas de parler d'un Ronsard transposé sur un petit écran, mais d'une nouvelle forme de poésie uniquement créée à destination des outils tactiles. Si c'est bien de poésie dont il s'agit, car avec le P.o.E.M.M project (Poems for Excitable [Mobile] Media), la question reste ouverte.
Ce qu'a développé Jason Lewis, Associate Professor of Computation Arts à la Faculty of Fine Arts de la Concordia University (Montréal), ou ce qu'il cherche à développer, c'est "la création d'une poésie qui ne serait destinée qu'à un écran tactile", explique t-il à L'Atelier. Lisible sur un iPhone, un iPad ou un iPod Touch via des applications, sa propre poésie bénéficie en effet des attributs de la technologie. Texte écrit sur papier ou directement sur l'application, la poésie qu'écrit Jason Lewis n'a rien de la structure bien ordonnée d'un sonnet. Je serais d'ailleurs bien en peine de vous en confier une strophe, car il n'y en a pas. Qu'y trouve t-on ? Nul quatrain, donc, mais des mots ou, pis, des lettres : des nuages de lettres. Libre au lecteur d'y passer le doigt, et d'en voir apparaître des phrases ou de simples mots. Lecteurs ? Vous pouvez vous interroger, la frontière entre lui et l'utilisateur est floue. Après tout, si l'on y réfléchit, le fait d'interagir avec une poésie, de s'approcher d'elle "comme le crépuscule approche cette première lumière, doucement, respectueusement, presque affectueusement" dirait Koltès, suppose que chacun ait sa propre version du texte. Et donc que l'auteur perde de sa suprématie. Mais l'universitaire poète, reconnaissant cela "puisque le public participe à la création et que le travail n'est pas achevé sans lui, ne pense pas en termes de gain ou de perte et y voit également un moyen d'améliorer l'engagement" de ce lecteur-utilisateur, assure t-il. Et donc sa proximité. Pas de propagande en faveur de la technologie tant je crois dans l'importance des vieux réliés d'époque, mais force est de constater que, même sur un exemplaire de tête des Mémoires d'Outre-Tombe, en dehors du champ de la poésie, je ne peux pas transformer le texte originel. Et tant mieux, je vous l'assure. Je ne comparerai pas non plus James Lewis et Chateaubriand, fatal outrage à mon estimé compatriote. Car je ne juge pas de la poésie ni du concept du premier, même si les applications "ont d'abord été développées pour présenter son travail artistique qui a d'ailleurs fait l'objet d'exposition, et non pour offrir un outil de travail". Malgré tout, cela est possible. Pas dans les cinq applications déjà disponibles, peut-être dans les cinq à venir, mais au moins dans la première : Speak. Car en la téléchargeant, si l'on accède à des poèmes pré-enregistrés (et/ou publiés), l'on peut également entrer son propre texte, automatiquement transformé en nuage de lettres. Ou même créer une poésie hasardeuse et en "crowdsourcing". En effet, Speak permet, grâce à une API, de récolter des tweets provenant de comptes d'utilisateurs choisis ou de mots clefs, pour faire naître ces fameuses phrases, fruit d'un mouvement digital non moins hasardeux. Une création qui n'est toutefois pas encore partageable avec ses proches, y compris si Jason Lewis y réfléchit, cherchant le meilleur moyen de permettre la diffusion de cette création, qui souffrirait "d'une simple vidéo faisant perdre à l'application la dimension interactive". Cela étant dit, le meilleur moyen d'en comprendre le principe est de regarder la vidéo. Ou mieux, de télécharger gracieusement l'application en question. Ou les autres : Know et ses mots cliquables, Migration, un acquarium de mots, ou Choice, qui fait défiler les phrases. Ce qui n'est pas sans poser la question des droits d'auteur ou de la rémunération. Néanmoins, Jason Lewis rappelle "qu'il a, comme les artistes de son entourage, un métier qui le fait vivre, et qu'il n'est pas un éditeur". Mais pourquoi pas "un recueil de plusieurs poèmes sous cette forme vendu pour vingt cinq dollars" ? Demeure enfin la quatrième application, Bastard, qui elle a sa particularité, puisqu'elle est vendue 9,99 dollars. Et en édition limitée, fermée à la vente au bout de cent exemplaires. Poésie ou nouveau venu dans les Arts et les Lettres ? Utilisateur, lecteur, spectateur ? Les questions restent en suspens. Mais il s'agit peut-être là d'une nouvelle étape aux réflexions sur le rapport entre l'art et la technique, et sur ce que la seconde peut apporter au premier.Speak iphone/ipod/ipad app from Obx Labs on Vimeo.