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Rediffusion : un programme pour les banques ou pour les Français ?

Publié le 20 juillet 2012 par Delits

 

Nous sommes en septembre 2011. Dans cette dernière ligne droite avant l’élection présidentielle, tous les hommes politiques et leurs staffs se concentrent sur la crise économique. Pourtant, cette chappe de plomb omniprésente  dans  l’espace médiatique n’est-elle pas en partie hors-sujet aux yeux de nos compatriotes qui veulent d’abord retrouver la maitrise de leur destin ? 

Et, si ce sujet n’était pas le bon ? En cette rentrée électorale, la crise de la dette est sur toutes les lèvres. Au cœur du prochain ouvrage de François Bayrou(1) , objet d’une guerre législative probable, moyen pour les candidats PS d’asseoir une crédibilité présidentielle, ce sujet économique va-t-il cristalliser la présidentielle de 2012 ?

Si la question de la dette connait un regain d’intérêt de la part de nos compatriotes ces derniers mois, si l’inquiétude autour des sujets macro-économiques ne saurait faire débat, il semble que la capacité de ce sujet à différencier les candidats, et à impliquer nos concitoyens, soit limitée. Entre février 2009 et août 2011, la part de français se déclarant très inquiets sur la question de la dette est demeurée sensiblement la même, passant de 23% à 25%. Un sondage CSA, réalisé au cœur de la crise en cette fin d’été 2011, révèle que la dette n’émerge qu’en 6ème position des sujets jugés importants par nos compatriotes, -17%- bien loin derrière l’emploi ou l’éducation (respectivement 42% et 35%).

Au-delà de cette question, ce sont deux conceptions de la politique qui pourraient s’opposer aux yeux de nos compatriotes. Il y a les sujets régaliens, macro économiques : sauvetage des banques et de l’Euro, intervention en Libye. Et puis, les questions individuelles, les attentes personnelles. Ces dernières ne cessent de monter en puissance. Toutes les études à disposition convergent vers ce thème : nos compatriotes expriment un besoin fort de se réaliser individuellement, de lutter contre un sentiment de dépossession pour reprendre les rênes de leur vie. Alors que destin collectif et réussite individuelle n’ont jamais semblé aussi étanches, le défi pour les candidats à l’élection présidentielle est de vendre un programme pour cette France en crise qui résonne aussi comme un bénéfice individuel.

L’épanouissement individuel : nouvelle conquête pour la politique ?

Education, vie familiale, travail : quel que soit le thème traité, à chaque fois émerge un besoin exprimé d’épanouissement. Dans la sphère professionnelle, face à la réussite seulement financière montent en puissance le besoin d’utilité, de reconnaissance et d’intérêt pour le travail2 . De même, dans l’éducation, l’épanouissement de l’enfant vient concurrencer le savoir. Exemple parmi d’autres, le dernier sondage CSA confirme qu’aux yeux des sondés « l’épanouissement des enfants » au primaire occupe une place centrale, tandis « la transmission des connaissances », premier item cité, connait une baisse tendancielle(3).

Au cœur de l’épanouissement réside l’idée que la réussite n’est pas cantonnée à une échelle financière, qu’elle échappe aux diktats de la performance, que chacun enfin, porte en lui des particularités, qualités, envies, qui doivent lui permette de se réaliser. Cette notion est omniprésente. Au cœur de succès en librairie, comme l’ouvrage de Frédéric Lenoir4, elle est également opportunément récupérée par les agences de communication, à l’instar de la dernière campagne de l’armée de terre, qui a développé une plate-forme intitulée « devenez vous-mêmes ».

Cette quête peut-elle nourrir les discours et programmes politiques à venir ?

Pour le prix Nobel, Daniel Kahneman, cité par Ted Blog, c’est le futur grand défi des politiques. « Les politiques reconnaissent qu’ils sont obligés de prendre en compte le bonheur lorsqu’ils élaborent les politiques publiques …Ca va prendre du temps, mais on doit commencer le débat très rapidement.

En France, cette aspiration a été identifiée par des partisans de tous bords ; Ainsi, Manuel Valls parle-t-il dans son ouvrage intitulé Pouvoir, de « l’auto réalisation individuelle ». « Quelle que soit sa position sur l’échelle sociale, l’individu souhaite aujourd’hui développer son propre projet de vie[…].Avec ce sujet, la gauche tiendrait un objectif transversal susceptible de rallier les classes populaires et les classes moyennes. » Même Martine Aubry, pourtant instigatrice des 35 heures semble aller dans ce sens, cherchant ainsi à amender son image autoritaire. S’exprimant dans le Point en date du 28 août 2011, la candidate à l’élection présidentielle insiste sur la nécessaire souplesse à adopter pour respecter les aspirations de chacun : «il faut permettre des choix individuels, dans le cadre d’une protection collective [...] Le tous pareils, c’est fini, il faut s’adapter. »

Cette quête semble aller dans le sens du l’histoire : le déclin structurel de l’église a rendu caduque les grilles de lectures de l’existence faisant appel à la transcendance. Le consumérisme a pu sembler un temps pouvoir prendre le relais. Par la consommation et l’amélioration du pouvoir d’achat au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’individu trouvait sa place dans la société. La encore, les différentes études convergent vers une prise de distance : dénonciations de l’hyperconsommation(5), prise en compte de la fabrication des produits dans le processus d’achat, témoignent des limites du consumérisme en tant qu’accomplissement de l’existence. En réalité, les dernières études de Gallup mettent en évidence la contribution réelle mais partielle de l’argent et de la consommation dans le sentiment de bonheur. Citant cette dernière, Daniel Kahneman(6) explique : « En dessous de 60 mille dollars par an, pour les américains, moins ils gagnent, plus ils sont malheureux. Au dessus de cette somme, la ligne de bonheur est totalement linéaire, plate. On voit que l’argent n’achète pas des expériences heureuses, mais en manquer vous achète clairement la misère ».

L’Etat aurait donc deux combats à mener de fronts : permettre à tout citoyen d’atteindre un niveau de vie minimum, mais aussi prendre en compte les aspirations de chacun à se réaliser. Une approche individualisée qui nécessiterait d’opérer une révolution copernicienne dans notre approche monolithique pensée comme un gage d’égalité.

La France et les Français convergent vers un même besoin de réappropriation

Alors dans ce contexte, comment proposer un programme qui n’esquive pas l’ampleur de la crise sans sembler ignorer l’aspiration de nos compatriotes ? Le télescopage entre la grande histoire de la France et les petites histoires individuelles peut créer une dissonance ; Dette, mondialisation, crises arabes ont incité le Président à axer ce début de campagne sur la demande de protection. Mais ce besoin de protection ne peut occulter que « le peuple des assiégés »a tout autant besoin de lutter contre un sentiment de dépossession. Et, c’est précisément dans ce mouvement de réappropriation que la grande histoire de la France et les millions de destins de nos compatriotes convergent.

Quand Nicolas Sarkozy, agit sur le front Libyen, intervient sur la scène internationale face à la crise économique, il veut démontrer que la perte d’un destin collectif n’est pas une fatalité, que la mondialisation peut être incarnée et modifiée par une politique volontariste.

Au niveau individuel, de nombreux signaux attestent de ce mouvement de réappropriation qui impacte les comportements de nos concitoyens, du plus anecdotique au plus impliquant. C’est par exemple le secteur de l’habillement qui succombe à la folie des friperies, reflétant le souhait des jeunes générations de façonner leur propre style plutôt que de suivre la mode des chaînes. De façon plus profonde, cette tendance transparait dans la consommation équitable. Besoin de connaitre l’origine du produit, d’agir personnellement sur les modes de fabrication expliquent notamment l’essor de cette consommation plus durable. Comment la politique peut-elle suivre le mouvement ? Deux domaines, parmi de nombreux autres, pourraient être mis à contribution.

-L’éducation nationale. L’idée « d’une personnalisation de l’enseignement » semble s’opposer frontalement au modèle d’enseignement unique. Pourtant, l’idée d’un parcours scolaire qui respecte le socle commun tout en s’adaptant aux besoins et potentiels respectifs de chaque enfant, rencontre un écho croissant dans la communauté éducative

-Le parcours professionnel. Acter l’idée que les aspirations professionnelles ne sont pas toutes identiques, c’est accepter que les parcours sont non linéaires et peuvent intégrer congés sabbatiques ou périodes de formation au milieu de la carrière. Des parcours qui posent la question des retraites, tout comme la gestion de l’assurance chômage.

Enfin, au-delà des thèmes et programmes, le besoin de réappropriation nécessite une vraie rupture sémantique dans les discours. Parce que la dépossession est aussi un sentiment, il importe de redonner à la parole une dimension pratique, concrète, de bon sens. Fuir les discours technocratiques est le premier palier à atteindre pour redonner aux citoyens le sentiment de maitriser leur destin.

1, François Bayrou, 2012, Etat d’urgence, Plon [Revenir]

2, Les Français et le goût du travail, TNS SOFRES pour Pèlerin, 2010 [Revenir]

3, Les Français et l’école maternelle et élémentaire, 2011 [Revenir]

4, Petit traité de vie intérieure, Frédéric Lenoir [Revenir]

http://www.delitsdopinion.com/1analyses/fuck-the-consommation-726/ [Revenir]

Ibid [Revenir]


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