Le syndrome du pompier-pyromane appliqué au domaine politique est celui de l’auto-justification de l’intervention publique. Toute notre classe politique ne peut pas admettre l’inutilité et encore moins la nocivité des interventions étatiques. L’affaire PSA en est une illustration tout à fait saisissante. Explications.
Par Georges Kaplan.
Vous avez certainement entendu parler de ces incendies qui, après enquête, s’étaient avérés avoir été allumés par des pompiers. Je ne suis pas psychologue et n’ai pas la prétention de me faire passer pour tel mais il est une hypothèse raisonnable qui pourrait expliquer ce qu’il se passe dans la tête d’un pompier-pyromane : il tente de justifier sa propre existence. Pas de feu, pas de pompier : il deviendrait pyromane pour justifier l’existence de son métier, pour susciter la reconnaissance et l’admiration de ses concitoyens, pour se sentir important et utile. Cette pathologie est beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit mais pas chez les soldats du feu, chez qui elle est au contraire plutôt rare : c’est surtout chez les politiciens professionnels que le syndrome est le plus fréquent. L’affaire PSA en est une illustration tout à fait saisissante. Je m’explique.
En 2010, à l’échelle mondiale, ce sont près de 55,9 millions de voitures neuves à l’usage de particuliers qui ont été immatriculées ; 44,4% de plus qu’en 2000. Du point de vue des ventes, au moins, ç’aura sans doute été la meilleure année qu’ait connu l’industrie automobile de toute son histoire. La raison en est très simple : l’émergence des classes moyennes de ceux que nous appelions autrefois les pays sous-développés a créé un gigantesque gisement de consommateurs qui, pour la première fois, peuvent s’offrir ce luxe jusque-là inaccessible. À l’inverse, dans nos pays dits développés, la tendance lourde est, depuis au moins deux décennies, à la baisse du nombre d’immatriculations : dans l’Union européenne elles ont baissé d’un peu plus de 12% entre 2000 et 2010 ; aux États-Unis, elles ont plongé de plus de 36%.
Contrairement à ce que certains Cassandre se plaisent à faire croire, ce n’est pas un problème de pouvoir d’achat. À titre d’illustration, on rappellera qu’en 1980, il fallait environ 1 579 heures de Smic brut pour s’offrir une Renault 5 L (la moins chère) tandis qu’aujourd’hui, il ne faut plus que 850 heures pour devenir l’heureux propriétaire d’une Twingo [1] ; sans tenir compte des progrès réalisés entre temps, le pouvoir d’achat automobile du smicard français a donc pratiquement doublé. Il est possible que ce soient justement ces progrès qui aient considérablement amélioré la durée de vie de nos voitures modernes et que donc, nous sommes amenés à en changer moins souvent ; c’est à voir. Mais ce qui est en revanche certain c’est qu’au cours des deux dernières décennies, nos gouvernements ont fait à peu près tout ce qu’il était concevable de faire pour nous inciter à utiliser le moins possible nos voitures.
En France, par exemple, on citera les politiques d’urbanisme qui visent explicitement à chasser les voitures des centres-villes, la taxation massive des carburants, le contrôle technique, les équipements obligatoires (gilets de sécurité, triangles de signalisation et autres éthylotests) ou les normes imposés par la loi aux constructeurs (sécurité, pollution…)… Très clairement, et sans porter de jugement sur le bienfondé de ces politiques, tout a été fait pour privilégier les transports collectifs au détriment des véhicules individuels. Il ne devrait, en principe, surprendre personne que les Français achètent moins de voitures qu’autrefois et donc, que les marques françaises – Peugeot, Citroën et Renault – qui se partagent encore une bonne moitié du marché à elles trois soient les premières à en souffrir.
Naturellement, les constructeurs automobiles se sont adaptés et ont cherché à délocaliser une part grandissante de leur production vers les marchés en forte croissance et ce, d’autant plus qu’en sus d’économies sur les coûts de transports, ils pouvaient y trouver une main d’œuvre moins chère et des réglementations moins coûteuses. C’est évident mais il semble qu’il faille le rappeler : avec une structure de coûts européenne vous pouvez difficilement espérer vendre des voitures aux Indiens à moins, bien sûr, que vous ne soyez spécialisé dans les véhicules de luxe. Et de fait, à l’exception de l’Allemagne et du Royaume-Uni, la production locale des pays d’Europe de l’ouest et d’Amérique du nord a au mieux stagné et, le plus souvent, baissé dans des proportions spectaculaires. Stupeur chez nos politiciens qui réalisent soudainement que leur empressement à matraquer automobilistes et constructeurs finit par avoir des conséquences en termes d’emploi.
« Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s'arrête de bouger, subventionnez-le [2]. » Voilà donc nos politiciens qui décident de « sauver l’industrie automobile française » en la subventionnant massivement. C’est la prime à la casse qui a concerné environ 1,15 millions de véhicules entre 2009 et 2010 – soit un bon quart des ventes – et coûté pas moins de 1 038 millions d’euros aux contribuables, le fameux bonus/malus écologique qui, bien loin d’être équilibré, a fini par coûter près d’un milliard et demi d’euros entre 2008 et 2011, les milliards de prêts et autres aides publiques accordés aux constructeurs comme à leurs filiales financières, les investissements au capital des équipementiers de la filière et l’intervention systématique des pouvoirs publics dans la gestion des affaires de PSA et de Renault… J’en oublie certainement.
Du coup, les ventes en France ont plutôt bien résisté puisque, sur la période 2000-2010, le nombre d’immatriculation progressait de 5,5% et Philippe Varin, président du directoire de PSA, pouvait ainsi tripler sa rémunération au titre de l’année 2010 à 3,25 millions d'euros. Seulement voilà, comme le disait si bien Thatcher, « le problème avec le socialisme c’est que vous finissez toujours par être à court d’argent des autres » [3]. Une fois les effets d’aubaines passés et le coût astronomique de ces mesures clairement identifié, le marché est revenu sur sa tendance de fond : entre le premier semestre 2011 et les six premiers mois de l’année 2012, le nombre d’immatriculation en France s’est effondré de 14,4%. Très logiquement, PSA annonce des licenciements et, sans surprise, nos politiciens se précipitent sous l’objectif des caméras d’une presse décidément consentante pour crier haut et fort qu’ils n’acceptent pas.
Évidemment, on aurait pu tout simplement éviter de saborder notre marché automobile à coup de taxes et de règlementations ; à défaut, on aurait pu laisser nos constructeurs automobiles faire leur métier et s’adapter à ce nouvel environnement. Mais une telle hypothèse présente un défaut majeur : à quoi pourraient donc bien nous servir le ministère de l’économie, celui du redressement productif, leurs règlementations, leurs taxes et leurs armées de fonctionnaires ? Comment un politicien professionnel, qui n’a jamais rien fait d’autre de sa vie, ne sait ni ne veut rien faire d’autre pourrait-il admettre sa propre inutilité ? Imaginez donc Pierre Moscovici ou Arnaud Montebourg qui n’ont, l’un comme l’autre jamais mis les pieds dans une entreprise, dégradés au rang de simples citoyens, condamnés à travailler, à prendre des risques, à ménager leurs clients et fournisseurs mécontents, à trouver de quoi payer les salaires de leurs employés.
C’est le syndrome du pompier-pyromane, de l’auto-justification de l’intervention publique. Toute notre classe politique, composée quasi-exclusivement de politiciens de carrière, ne peut pas admettre l’inutilité et encore moins la nocivité des interventions étatiques ; elle ne peut pas l’admettre parce que c’est fondamentalement contraire à ses intérêts. À chaque incendie, il faut donc trouver une politique quitte à allumer deux autres foyers un peu plus loin. Et pendant ce temps, nos entrepreneurs et nos jeunes diplômés les plus prometteurs fuient sous des cieux plus cléments, des milliers de PME ne survivent plus qu’en omettant de déclarer une part grandissante de leurs activités à l’administration fiscale, les employeurs n’osent plus recruter, nos grandes entreprises n’osent plus investir, le chômage s’installe, la précarité progresse et la France, petit à petit, se couvre d’une épaisse couche de cendre.
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Sur le web.
Notes :
- R5 L à 20 490 francs (hors options) pour un Smic horaire brut moyen de 12,98 francs sur l’année 1980 ; Twingo à 7 990 euros TTC avec un Smic à 9,4 euros de l’heure depuis le 1er juillet. ↩
- Ronald Reagan. ↩
- Le terme de « socialisme » est impropre – elle aurait dû parler de « social-démocratie » de gauche comme de droite. ↩