Aujourd’hui, plutôt que parler d’une nouvelle abomination étatiste française dont l’actualité est truffée, je vous propose de découvrir quelques récentes inventions qui font avancer d’un grand pas les technologies du langage et d’en étudier les conséquences logiques dont on devine qu’elles ne seront pas de tout repos pour nos amis journalistes.
Et c’est fortuitement que je suis tombé sur cette petite invention qui, sur le papier tout du moins, est promise à un bel avenir : un quadruplet d’étudiants ukrainiens vient de remporter la première place au concours Imagine Cup 2012 de Microsoft, qui récompense les étudiants proposant une réalisation technologique innovante incluant des technologies du fabricant de logiciels.
En quelques mots, l’invention des Ukrainiens permet de transformer le langage des signes en langage parlé : un smartphone analyse la position et le déplacement des mains d’une personne spécialement gantée et produit les sons correspondants à l’enchaînement de gestes effectués. Les gants, reliés via Bluetooth, sont munis de capteurs permettant de mesurer les déplacements et accélérations de la main et de chaque doigt indépendamment des autres, ce qui permet une précision suffisante pour déterminer le signe effectué et, en conséquence, le son à produire.
Le résultat est présenté dans la vidéo suivante :
Si je vous évoque cette invention, c’est parce qu’elle constitue un nouvel exemple de l’avancée de plus en plus phénoménale de la technologie au service des individus, au jour le jour (plusieurs centaines de millions de personnes sont concernées par le langage des signes), et pour un prix modique puisqu’on parle d’un équipement qui, tout compris, serait probablement en dessous des 100$. Ici, je pourrais aller de mon petit couplet sur le capitalisme, la division du travail et l’inventivité humaine, mais ce n’est pas le propos du billet ; ce que je veux montrer, ici, c’est que les technologies du langages sont passées, en une poignée de décennies, d’une chimère ou d’un rêve lointain à un nombre croissant d’applications pratiques.
On parle en effet d’un procédé qui, de façon relativement simple, transforme des gestes en parole, ce qui suppose des technologies proches de celles des text-to-speach, transformant des textes en lecture à voix haute. Pour le moment bien sûr, ces derniers procédés sont parfois rudimentaires : la monotonie de certains « lecteurs automatiques » rend parfois le texte plus difficile à comprendre, mais il n’en reste pas moins que, petit à petit, l’interface entre l’homme et ses machines se fait plus agréable à manipuler ; la technique inverse, qui consiste à produire du texte à partir de la voix, avance elle aussi à pas de géants (j’en avais déjà parlé un peu dans ce précédent billet).
Evidemment, le chemin reste encore long avant d’avoir des traductions parfaites, ou des intonations de lecture agréables et humaines, mais si l’on compare avec la situation il y a dix ans (ou a fortiori un demi-siècle), et si on replace l’apparition de ces technologies dans le temps, on se rend compte que les résultats obtenus s’améliorent de plus en plus vite.Et c’est à cette accélération sensible des techniques qu’on peut penser immédiatement lorsqu’on découvre, parallèlement à ces technologies appliquées au langage, l’introduction d’automates pour produire des textes … journalistiques.
Attention, ici, bien sûr, je ne parle pas de textes à la Albert Londres ou des éditos enflammés comme ceux de Zola. Pour le moment (et probablement pour longtemps encore), la production des automates se concentre sur les textes plus basiques comme le « commentaire » de cours de bourse, les résultats hippiques, les mises en formes d’articles sportifs, ou les productions séminales mal contrôlées contre l’idéologie turbolibérale (oui, si vous ne le saviez pas, J0fr1 est un algorithme passablement vieillot qui produit, à intervalles irréguliers, des textes automatiques sur les domaines qu’on lui désigne ; ne moquez pas le résultat, il est déjà au taquet, vous pourriez lui faire fondre une paire de transistors).
Eh oui : de plus en plus, les articles basés essentiellement sur des rapports trimestriels, des données chiffrées et circonstanciées, des comptes-rendus policés, les notules qui forment finalement les brèves les plus reprises dans les agences de presse seront produites par des automates plus ou moins futés, qui pourront éventuellement orienter leur production en fonction du public visé. On pourrait imaginer que le journaliste moyen en trouvera son travail notoirement amélioré puisqu’il va enfin pouvoir se concentrer sur l’analyse politique, économique ou sociale, le reportage sur le terrain, la chronique d’humeur bien troussée ou la mise en contexte d’un ensemble d’informations déjà pré-mâchées. Cependant, compte-tenu des coquilles qui passent régulièrement dans la presse actuelle (dans laquelle les correcteurs automatiques, rarement utilisés, sont laissés à leurs choix controversés qui transformeront par exemple Tyson Gay en Tyson Homosexuel sans qu’aucun humain, par la suite, ne trouve rien à redire), on peut se demander si, rapidement, les pigistes et journalistes régionaux, n’ayant finalement aucun talent ni pour l’écriture, ni pour l’orthographe, ni pour le journalisme en général, ne vont pas se retrouver en concurrence frontale avec ces algorithmes. Car si pour le moment ces derniers sont rudimentaires et produisent des textes globalement barbants, on ne peut écarter qu’à l’avenir, nourris de statistiques linguistiques sioux et d’autres procédés plus malins, ils parviennent à produire des textes décents qui, s’ils n’analysent pas l’information fournie, la relateront cependant de façon agréable pour un lecteur humain traditionnel.
Ce qui est amusant, dans cette dernière technologie, c’est qu’elle vient s’ajouter à toutes les autres (internet, blogs, pure players online, …) qui ont, durablement et définitivement, miné le modèle de la presse telle qu’elle existait encore vaillamment dans les années 80 et 90. Rapidement, le modèle de l’article de presse et de l’information telle qu’on les concevait est en train de changer. Et dans ce maelström de changement, les productions journalistiques françaises, elles, restent cramponnées à leur roc que la marée recouvre inexorablement, ne laissant aux olibrius de la trempe de Joffrin ou Barbier qu’une occasion de faire des petites bulles tristes…
Pas de doute : la photo de la presse française, dans 10 ans, promet d’être fort différente de celle qu’on peut faire aujourd’hui. Et je ne suis pas sûr qu’on le regrettera.