La motivation qui pousse à
voir un film peut être traître. Avec souvent une quinzaine de longs-métrages (voire
plus)qui sortent dans les salles parisiennes chaque mercredi, les tentations
sont bien trop nombreuses pour le temps que l’on peut impartir aux escapades
cinéphiles dans les salles obscures. J’aimerais avoir le temps de ne pas avoir
à faire de choix entre tel film et tel autre, mais ce luxe-là, je ne l’ai pas.
Chaque semaine, les désirs sont nombreux et avec eux, les mises de côté. C’est
pourquoi parfois, je préfère ne pas trop me pencher sur certains films qui
n’éveillent pas naturellement ma curiosité, histoire de ne pas faire naître le
désir de les voir et ainsi ajouter un film à la longue liste d’œuvres que je ne
veux absolument pas rater.
Il en faut parfois peu, une
critique lue machinalement, une bande-annonce aperçue en salle, ou un simple
synopsis zieuté dans Pariscope pour faire naître le désir. Pour Inside, un film colombien sorti début
juillet, il m’aura suffi du pitch. Pas d’image, ni de critique. Seulement trois
petites lignes m’indiquant l’intrigue. Trois petites lignes paraissant
innocentes mais dont j’aurais finalement préféré me passer. C’est tout le
paradoxe de la situation. Si je n’avais pas lu ces lignes, peut-être ne
serais-je pas allé voir le film, mais ces quelques lignes m’ont empêché de
pleinement l’apprécier.
C’est à cet instant que je
dois vous prévenir que si vous ne savez rien, absolument rien de
« Inside » et que vous comptez le voir, vous pouvez arrêter la
lecture de ce billet maintenant (si c’est le cas et que vous habitez Paris,
dépêchez-vous le film ne passe déjà plus qu’à l’Orient Express et au Studio Galande). Si vous avez déjà lu des critiques, vu la bande-annonce ou
simplement lu comme moi un synopsis du film, sans le savoir vous vous êtes déjà
fait spoilé une part importante du film. Le pitch qui m’a attiré et qui est
repris dans la presse sous une forme ou une autre, celui-là même qui est mis en
avant par le distributeur est le suivant : une jeune femme qui n’a pas
confiance en son compagnon décide de lui faire croire qu’elle le quitte alors
qu’en réalité, elle se cache dans une pièce secrète de leur maison d’où elle
pourra observer sa réaction… Mais dans la précipitation, elle se trouve coincée
dans la pièce sans moyen d’en sortir. Un pitch vendeur, non ? Il éveille
la curiosité, d’autant que la nationalité et le cadre colombien laissent
espérer une atmosphère et un point de vue différent d’un thriller américain ou
français.
Le souci, c’est que ce
synopsis, sur lequel est également bâtie la bande-annonce, n’est pas, comme
tout bon synopsis devrait l’être, le point de départ du film. Le film commence
différemment, et toute cette intrigue n’intervient que dans la seconde moitié
du film. Oui, on peut dire que le synopsis officiel du film est en réalité le
résumé d’un twist essentiel du film, un bon gros spoiler, ni plus ni moins.
S’il fallait faire un synopsis laissant planer le mystère et ne dévoilant rien
d’important, cela ressemblerait plutôt à cela : Un chef d’orchestre
fortuné vient d’être quitté par sa fiancée. Noyant son chagrin dans l’alcool,
il fait la rencontre d’une jeune femme et en fait sa maîtresse. Mais deux
inspecteurs de police s’intéressent au chef d’orchestre et le soupçonnent
d’avoir fait disparaître sa fiancée, portée disparue depuis la séparation.
Bien sûr, présenté ainsi,
« Inside » a un son plus commun et s’apparente à un thriller
hitchcockien plus classique. Mais il faut se poser la question de ce que l’on
recherche lorsque l’on « vend » un film aux spectateurs, que l’on
soit distributeur ou journaliste. Veut-on tout lui donner, tout lui vanter,
tout lui dévoiler ou presque avant même qu’il ait vu le film sans le prévenir
que ce qu’on lui présente comme le point de départ du film est en réalité la
résolution d’une énigme essentielle à l’intrigue, l’explication de l’atmosphère
et de la tension qui définissent plus de la moitié du film ?Au risque, en
ce cas, de lui gâcher en partie le film, en le privant des doutes, de
l’insaisissable, de l’invisible ? Ou bien veut-on seulement allumer la
flamme de la curiosité tout en laissant les clés du film hors de sa
portée ? L’une des options revient à ne pas considérer le plaisir du
spectateur. Et si cela ne vous (les personnes concernées) semble pas si grave,
alors le problème est sérieux. Mieux vaut bien réfléchir à ce que l’on veut donner
au spectateur avant même qu’il pose les pieds dans la salle.