Écrit et réalisé par Leos Carax
Avec Denis Lavant, Edith Scob, Kylie Minogue, Eva Mendes, Michel Piccoli, …
1h55
Résumé
Monsieur Oscar se balade dans Paris dans sa limousine pour interpréter tour à tour différents rôles. Mais est-ce vraiment du cinéma ?…
Avis
Surtout ne vous attardez pas sur le précédent résumé : il ne sert à rien !
S’il est là, c’est simplement pour la forme, ou plutôt, disons, par habitude. Parce que c’est toujours bien d’avoir un petit résumé avant de se décider si on veut ou non aller voir tel ou tel film.
Mais si un résumé s’avère pertinent pour s’interroger sur l’éventualité d’aller voir le nouveau film de Spielberg ou d’Audiard, pour le nouveau Leos Carax, en revanche, il demeure particulièrement vain…
En effet, comment voudriez-vous décrire l’indescriptible ?… Holy Motors ne se résume pas : il se voit.
Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, nul besoin d’être un spécialiste de l’œuvre de Leos Carax pour aller voir ce film, bien au contraire.
Seule une chose compte pour l’apprécier pleinement cependant : l’amour du cinéma !
Car c’est avant tout de cela que parle Holy Motors : du cinéma et de ses acteurs.
D’ailleurs, il serait sûrement plus pertinent de le qualifier de film sur le cinéma via les acteurs puisqu’il nous narre la journée du mystérieux Monsieur Oscar, comédien à temps plein dont la vie et l’œuvre semblent représenter une seule et même entité, capable de changer de faciès à chaque nouveau carrefour abordé par sa gigantesque limousine blanche.
L’évolution du personnage d’Oscar est d’ailleurs particulièrement intéressante.
Même s’il fait son entrée en tant que star en sortant de sa villa pour pénétrer dans son immense limousine, il n’en demeure pas moins contraint de « subir » les différentes étapes du métier de comédien, passant de la simple figuration (la mendiante) au rôle le plus complexe qui soit (la disparition du « moi » et la perte de repaire du 8ème rendez-vous) en passant par les rôles masqués, grimés, les seconds rôles ou bien encore les rôles cultes (Monsieur Merde).
Mais plus encore qu’un film sur les acteurs, Holy Motors s’avère également être une réflexion complexe de Leos Carax sur son propre métier, sur sa passion, le cinéma, et sur le pouvoir que représente celui-ci : le pouvoir de l’image, le pouvoir psychologique.
Au-delà du constat alarmiste qu’il nous donne dans l’épilogue, Carax, en éternel audacieux, nous offre tout au long du film des passages d’une clairvoyance magistrale et d’une maîtrise à couper le souffle.
Il est d’ailleurs assez ironique de noter que la quasi-totalité de son film se trouve être finalement l’antithèse de ce qu’il évoque dans son épilogue (une hypothétique mort du cinéma semble impossible tant que des films comme celui-ci pourront apparaître sur nos écrans).
Carax choisit d’ailleurs, toujours avec une grande ironie, d’énoncer cette crainte, ce constat, par la « bouche » des limousines. Ces dernières étant les vectrices du cinéma et le symbole des films, il fait ainsi, en quelque sorte, annoncer au cinéma sa propre mort, peut-être un signe qui nous dit que le cinéma se serait tué lui-même et qu’il est le principal responsable de sa propre perte.
Mais à tous ceux qui croyaient justement que le cinéma était déjà mort (bouffé par la télé ou par les blockbusters), Carax envoie un pied de nez : il joue littéralement avec son art comme avec un jouet (un jouet, semble-t-il fragile, auquel il tient plus que tout), prouvant aux sceptiques que tant que l’amour et la passion du 7ème art seront là, il y aura toujours des belles choses à projeter sur la toile.
Tel un enfant donc, Carax s’amuse à jouer avec tous les moyens dont il dispose.
Peut-être afin de prouver à tous le gotha hexagonal qu’il en a beaucoup sous la semelle, il touche à nombreuses formes du cinéma, comme pour montrer qu’il est capable de tout faire, mais que ça ne l’intéresse pas : il peut tout faire, mais il est au-dessus de cela.
Même son entracte est au-dessus du lot avec le merveilleux morceau de R. L. Burnside, « Let my baby ride », entracte dans laquelle apparait d’ailleurs furtivement Bertrand Cantat.
Carax profite également de son grand retour pour jouer avec les images.
Outre les merveilles techniques que nous présente le film (la scène en motion capture, visuellement époustouflante, restera dans les mémoires pendant de nombreuses années), il s’amuse également à jouer avec l’image publique que renvoie ses comédiens.
L’épisode de Monsieur Merde, avec Eva Mendes en guest-star en est d’ailleurs la preuve. Alors que beaucoup espère voir cette dernière s’effeuiller devant la caméra du poète Carax, c’est finalement Denis Lavant, l’acteur fétiche du réalisateur, qui se dénude à l’écran, arborant fièrement un chibre en érection qui a du plus que surprendre l’actrice américaine.
C’est donc en s’amusant tel le mauvais garçon qu’il est que Leos Carax parvient à nous offrir le film qui manquait à cette année 2012.
En mélangeant la vie et le cinéma, le fond et la forme, l’abstrait et le concret, la folie et la raison, Carax a réussi son pari : prouver au cinéma français qu’il est loin d’être fini et qu’il est encore en mesure de donner une leçon à tout le monde.
Peut-être était-il trop bien finalement pour être récompensé cette année à Cannes…
Mais si je peux vous donner un conseil : ne vous attarder pas plus sur cette chronique que sur le résumé susnommé : cela ne servirait à rien.
Holy Motors est une expérience unique. Le genre de film qu’il faut voir à tout prix et qui ne peut trouver son véritable sens que dans une salle de cinéma, cela va de soi.
Halte au téléchargement : courrez dans la salle de cinéma la plus proche pour aller voir ce chef d’œuvre.
Vous ne le regretterez pas !