Je ne suis jamais allé à Lourdes. Toutefois, je puis témoigner, car la sainteté de ce nom est inscrite dans mes souvenirs les plus lointains. En ce village de haute montagne qui fut celui de mon enfance, chacun de nous connaissait mieux la ville de Bernadette que nos cités helvétiques proches ou moins proches.
Tous ceux qui en avaient les moyens « allaient à Lourdes » une fois dans leur existence. Non pour obtenir un miracle. Pour parler à la Vierge, comme de bouche à oreille.
Nos paysans avaient la foi d’Anne Vercors. Ils participaient à un devoir de chrétienté et revenaient absous. Comme ils avaient très peu d’argent et qu’il fallait bien prendre le train, ils économisaient sur le nécessaire pendant des années pour s’offrir enfin une inscription au pèlerinage..
L’argent s’est fait moins rare depuis. Je constate avec joie qu’ils sont aujourd’hui très nombreux chaque année, à répondre à l’appel de leur conscience.
Presque tous ceux qui y sont allés une fois y retournent, avec une fidélité qu’un empêchement blesse comme une pénitence. Des malades, bien entendu ; plus nombreux encore, des bien-portants dont l’âme va se réconforter dans un climat d’une intense spiritualité.
Ce dernier printemps ; j’ai voulu revoir dans le village de mon enfance la Procession de la Fête-Dieu, une joyeuse manifestation de notre vie religieuse à laquelle je n’avais pu me joindre depuis quarante ans. Je craignais le pire. Heureuse surprise de découvrir dans le cortège, derrière le Saint-Sacrement, un groupe placé sous la bannière bleue des « Brancardiers de Lourdes ». Des jeunes gens, des hommes mûrs en pleine santé qui se mettent chaque année au service des malades qui font le lointain voyage.
Qui pourrait demeurer insensible à ces témoignages d’une foi vivante mise au service de la charité ?
Je n’ai pas à m’irriter ici contre l’invasion de statues fâcheuses que nous vaut cette piété. Ce sont les accessoires inévitables que nous délèguent tous les lieux de pèlerinage. Après tout, les horreurs que l’on nous impose au nom de « l’art moderne » dans nos églises, ne valent guère mieux. Ces trop belles « Notre-Dame » de plâtre témoignent au moins d’une foi populaire profonde qui balance heureusement le rationalisme stéréotypé et décadent de nos intellectuels.
Lourdes continue de rayonner dans des milliers d’âmes comme un phare très doux qui conduit quelque part.
Restent, bien entendu, les malades, tous ceux qui partent, avec un espoir toujours déçu de miracle.. Justement, jamais déçu, au contraire ! Je pense à cet ami dont un accident brisa la colonne vertébrale. Pour lui, le pèlerinage annuel à la grotte était de rigueur. Aussi souvent inefficace, en apparence, qu’entrepris, pourquoi ne fut-il jamais abandonné ? Parce que chaque année ce chrétien lucide rentrait rayonnant, réconforté, comprenant chaque fois mieux le sens eschatologique de sa souffrance et de son sacrifice.
Cette force que j’ai souvent observée au retour des pèlerins, n’est-ce pas le miracle permanent de Lourdes ? Le flottement d’une pensée théologique qui récuse avec toujours plus de précaution tous les phénomènes inexplicables par la science a de plus en plus besoin de ce contrepoids d’espérance concrète accordée à ceux qui prient humblement. Je comprends que Lourdes puisse faire sourire ceux qui oublient que la foi est une grâce de Dieu. Ceux que j’ai vus en revenir ne sourient pas : ils rayonnent.
Maurice ZERMATTEN (Né en 1910), écrivain suisse.
*****************************************************