
Ce livre explique comment cette histoire me ramène à ma propre histoire, et s’interroge sur la manière de gérer la réflexion sur le génocide.
Pourquoi un livre au lieu d’un film ?
Chaque support a sa propre efficacité. Il y a des choses que l’image peut faire mieux que les mots. Mais quand vous lisez des témoignages écrits, comme par exemple ceux de Robert Antelme, ils ont une force différente. J’aime lire, en particulier de la poésie.
Le génocide cambodgien vous hante. Mais il n’est pas votre seule source d’inspiration…
Je pense qu’il est temps de faire autre chose que de parler toujours du Cambodge. La meilleure preuve qu’on a gagné contre les criminels, c’est que nous arrivons à créer. J’ai d’ailleurs souvent alterné le documentaire et la fiction et je tiens à être surtout un cinéaste, bien davantage qu’un témoin.
Duch vous fascine-t-il ?
C’est un personnage humain, pervers, complexe, une combinaison entre un tueur et l’organisateur de la tuerie. Il sait ce qu’est la morale, l’éthique, et c’est très perturbant. Cette rencontre m’a déstabilisé, j’avais besoin de revenir sur notre confrontation, autant que sur mon histoire personnelle.
Christophe Bataille a travaillé avec vous pour écrire L’élimination. Pourquoi ?
J’aurais été incapable d’écrire cela tout seul, je me serais flingué après trente pages. J’avais besoin de quelqu’un qui me soutienne littérairement, artistiquement, mais aussi humainement. Comme dans une mise en scène, où vous êtes en dialogue constant à propos, par exemple, de l’éclairage. Cela a été, pendant un an et demi, une aventure littéraire et amicale, au cours de laquelle nous étions sans cesse en contact, et où Christophe Bataille m’a parfois proposé cent versions différentes de la même page.
Vous dites dans le livre que vous cherchez à fournir tous les détails, de manière à ce que le génocide ne soit jamais un détail. Vous êtes aussi à l’origine du centre Bophana, qui recueille les témoignages à propos de ces événements. Cela vous semble-t-il si important ?
Il y a vingt-cinq ans, quand je présentais mes films, il n’y avait pas un Cambodgien dans la salle. Maintenant, j’y vois des jeunes qui n’ont jamais connu les Khmers rouges et qui cherchent leur histoire. Je ne reproche rien à ceux qui ne veulent pas parler mais j’essaie d’apporter des parcelles de réponses qui serviront à éclairer le passé.
Quelle sera la prochaine étape ?
Je ne sais pas ce que ça va donner, mais je travaille à disséquer un cours idéologique des Khmers rouges, pour comprendre comment les mots sont utilisés, un peu comme Victor Klemperer a étudié la langue du IIIe Reich.