En 1900, tous s'accordent à dire que le corset, devenu nécessaire, est l'élément le plus important de la toilette féminine, et il est alors impensable de songer à le supprimer, bien que les critiques soient de plus en plus vives, de la part des médecins, des hygiénistes, et plus tard des féministes.
Le corset, qui avait disparu avec l'Empire, réapparut en 1814 et connut de nouveau un grand succès. Il subit au cours du XIXeme siècle de multiples transformations, imprimant au corps des courselon les goûts de la mode.
A la Belle Epoque, le corset n'est plus réservé aux femmes de la noblesse, et il est adopté par les femmes de toutes les classes sociales et de tous les milieux. Même les petites filles se doivent de le porter.
Inès Gaches-Sarraute affirme en 1900 «qu'il est démontré que la femme ne veut ni ne peut se passer de corset» (1), tandis qu'on peut lire dans Beauté-Corset en 1902 que « Le corset est absolument indispensable pour faire ressortir l'élégance, la sveltesse et la grâce de la taille » (2).
La revue L'art d'être jolie, en 1904 (3), recueillait les témoignages de quelques actrices à la mode, ce qui nous donne une petite idée des idées répandues à l'époque :
Mme Lucienne Dorsy : « C'est presque la dignité de la femme. Sans corset, pas de tenue ; sans tenue, pas de respect ».
Mme Sylviac : « Les fleurs ont toutes un corselet, et je ne me résoudrai à voir la femme sans corset que lorsque les roses et les oeillets fleuriront sans calice ».
Mme Vincourt : « Le plus grand bourreau de la femme, quand il n'est pas son plus grand ami ».
De Mme Pierron : « Le corset, mais c'est la femme, car c'est lui qui nous donne la ligne ondoyante, la souplesse et la distinction de notre démarche ».
Mme Marcelle Bordo : « Dieu a fait la femme. Le corset a fait la Parisienne ».
Mme Marie Marcilly :
« Brodé, satiné, rubanné, toujours parfumé, le corset ?
« C'est une coupe de satin, offrant un délicieux butin, au lutin ;
« C'est une châsse armoriée, enserrant la fleur parfumée, de sa gaze inviolée.
« C'est le recéleur discret, du petit mot, du doux billet, secret ;
« C'est un joyeux nid d'hirondelles, que l'on entend jaser entre elles, avec de légers bruits d'ailes ;
« C'est la cuirasse qui défend la femme contre un trop pressant amant ... »
Le corset est destiné à modeler le corps de la femme en le déformant et en le comprimant, de manière à lui donner une forme qui ne lui est pas naturelle, pour mettre en valeur ses courbes féminines et les adapter aux formes de la mode.
Il sculpte le corps en agissant sur trois éléments : la taille, la poitrine et les hanches, de manière à transformer la silhouette de la femme en fonction de la mode du moment.
Son rôle est essentiellement de soutenir les seins et de dessiner la taille, qui devient fine à l'extrême.
Inès Gaches-Sarraute écrit en 1900 : «C'est le corset, et lui seul, qui donne au corps de la femme la forme sur laquelle viennent se mouler toutes les autres parties du vêtement » (1).
Henri de Parville la cite en 1895 dans La science illustrée(4) : « Mme Gaches-Sarraute estime qu'une sorte de corset est indispensable à la femme, parce que le corset sert à fixer la partie inférieure du vêtement. Autrefois, le poids des voiles antiques était porté par les épaules ; mais, de nos jours, le vêtement de la femme se divise en deux parts, qui se rejoignent au niveau de la taille. Le corsage repose sur les épaules, mais la partie inférieure, jupes, jupons, pantalons, prend son point d'appui au-dessus des crêtes iliaques par l'intermédiaire de liens multiples et forcément serrés. Ces liens constituent une gêne s'ils ne sont écartés de la peau par une mince étoffe. Rigides, ils sont coupants ; souples, ils tendent à se creuser un sillon dans la région du soutien. C'est pour obvier à cet inconvénient que furent créées les ceintures, puis le corset. De là la nécessité absolue d'interposer entre le corps et la ceinture des jupes, au niveau de la taille, une sorte de justaucorps d'un tissu suffisamment rigide pour atténuer la gêne provoquée par la constriction des liens.
(…) Le corset actuel n'a pas seulement pour fonction de soutenir les jupes, il est disposé de façon à servir de soutien, à amincir la taille et à comprimer les régions abdominales. On lui demande trop à la fois. Depuis la région épigastrique jusqu'à la gorge, il existe une série de viscères qui ont tous besoin d'une grande liberté pour leur fonctionnement ».
Dans L'art d'être jolie (3), nous découvrons également cette idée répandue chez ses défenseurs, que « le corset est le soutien de la femme. Il constitue en quelque sorte le dossier contre lequel toute la partie supérieure de son corps repose. Il est le point d'appui de la gorge, dont les fibres, sans lui, se distendraient. Il protège les organes délicats de la femme contre la pression des vêtements.
Aux bustes délicats d'aujourd'hui, il faut une cuirasse, une armure. Les courbes les plus exquises, les rondeurs les plus menues veulent être chastement emprisonnées, les tailles effilées veulent s'effiler davantage encore, les hanches timidement se dissimulent »
Et dans Beauté-Corset (2), nous découvrons encore que le corset est préconisé dès l'enfance : « Le corset est un tuteur énergique qui combat efficacement certaines dispositions qu'ont les jeunes filles à garder une position nuisible à leur santé. Le rôle du corset dans ce cas spécial consiste à maintenir les épaules, les rejeter en arrière et faciliter le développement du thorax ; il est à la jeune fille ce que le tuteur est à l'arbuste ».
Ce rôle de tuteur du corps de la femme, semble être aussi celui de sa moralité, « le maintien de son corps évoquant la rigueur de son comportement» (5).
Le corset « sert, à travers ses motivations esthétiques et orthopédiques, à vaincre la chair, à la dompter, à la mortifier » (6).
Même si l'utilité du corset n'est jamais remise en question, un nombre croissant de médecins dénoncent les dommages causés au corps féminin, en lui imposant des formes qui sont bien trop loin de celles qui leur sont naturelles.
« La femme qui porte un corset vit constamment dans un état de demi-asphyxie. », dit le Docteur Sébileau (7)
Le corset, très rigide, déforme et emprisonne les organes internes, causant des dysfonctionnements préjudiciables à la santé. Il comprime les poumons et l'estomac, déplace le foie et les reins, rapproche les côtes. Il gêne la circulation, la respiration, la digestion. Il gêne les femmes dans tous leurs mouvements, et leur démarche est saccadée et empêtrée.
« Sans qu'elle s'en doute, la femme souffre de cette mutilation qui l'empêche de respirer normalement, entrave la circulation du sang, déplace tous les organes et provoque leur mauvais fonctionnement, s'oppose aux nombreuses flexions que doit pouvoir exécuter continuellement la colonne vertébrale, atrophie les muscles immobilisés.
Chassés par la pression du corset, les viscères se logent où ils peuvent dans l'abdomen et dans la poitrine, créant dans ces deux cavités une pression anormale dont les conséquences sont désastreuses : troubles digestifs, respiratoires, circulatoires et génito-urinaires. La constipation, qui empoisonne l'existence de tant de femmes, n'a souvent pas d'autre origine que l'action du corset. Ce sont là les démonstrations des désordres physiologiques consécutifs au port habituel de cet instrument volontaire de supplice.
Le squelette est arrêté dans son développement par le port du corset dès l'enfance »(7).
Et pourtant, les femmes acceptent cette armature, qu'elles considèrent malgré tout comme leur alliée, puisqu'il s'agit du moyen le plus efficace à leur portée pour gommer les défauts de leur silhouette et la mettre en valeur (5).
Le corset est constitué d'une étoffe résistante muni de baleines en acier, fermé par le busc sur le devant, «également en acier, et que l'on resserre au moyen de longs lacets passés à travers des oeillets ménagés dans le tissu. Ces lacets sont serrés le plus possible afin d'obtenir une taille très fine.
Inès Gaches-Sarraute le décrit ainsi : « Un corset est un appareil qui s'applique d'une façon à peu près immédiate sur le corps, et qui possède toujours une certaine rigidité dans le sens de sa hauteur, par le fait du busc et des baleines dont il est muni. C'est cette rigidité même qui le définit et qui justifie son emploi ».
Pour décrire plus précisément la large gamme des corsets, voici un extrait de L'art d'être jolie publié en 1904 (3) :
« Vers dix ans, c'est la brassière de coutil, ébauche d'un corset sans baleine avec ganses s'élargissant à volonté. A seize ans, la brassière se renforce de quelques baleines sans ganses. A dix-huit, le corset proprement dit apparaît en batiste légère et en baleines souples ; le corset nuptial est de satin blanc, avec baleines.
Puis la femme qui a les moyens d'avoir une garde-robe complète possède toute une série de corsets :
Celui de bal est en satin de couleur assortie à la toilette, mais très étroit. Il doit faire gagner cinq centimètres de tour de taille par un laçage progressif.
Le corset du matin, brassière en batiste peu baleinée. - Le corset usuel en satin noir, ou bleu pâle, ou rose, ou mauve. - Le corset de repos, sorte de ceinture directoire. - Le corset de nuit en peau de Suède sans baleine, se bouclant sur le côté. - Le corset de grossesse élastique, sans baleine avec des attaches en caoutchouc. - Celui de nourrice à pont-levis. - Celui de voyage, très lâche, avec des pattes permettant de l'élargir la nuit si l'on veut dormir. - Celui de cheval en coutil écru avec large élastique sur la hanche, très long et très fort. - Celui de bicyclette, une ceinture en tissu élastique, sans buste ni baleine, lacé devant, derrière et sur les côtés pour soutenir la taille et laisser aux mouvements toute leur liberté ».
Et dans le numéro suivant, la revue présente une « psychologie du corset » :
« Chez la fillette, c'est une petite ceinture de coutil et de satin blanc, qui sert à attacher le pantalon, les jupons, les bas, qui fileraient faute de hanches. Il est hérissé de boutons, de fronces, d'agrafes, d'élastiques. Il sert de troisième poche, cache les lettres du petit cousin et les mauvaises notes, la clef du pupitre et le sachet parfumé chipé à la grande soeur.
Chez la jeune fille, il est de coutil blanc ; c'est lui, d'ailleurs qui renferme les plus jolies choses. Il est ordinairement simple, éventaillé en soie et garni d'une petite dentelle, se laçant derrière avec beaucoup d'oeillets.
Le corset décent est en satin blanc, avec quantité de buscs, long, haut, une véritable harmonie, sans parfum, sans jarretelles.
Le corset de combat au contraire est doux, souple, pas trop serré, garnis de dentelles et violemment parfumé ; d'autres corsets se dégrafent d'un seul coup, destinés à revenir, le matin, plié dans quelque journal.
Le corset distingué est souple, chatoyant, agrafé d'argent, festonné de Valenciennes, avec une pointe de parfum.
Le corset de la femme de sport est en peau de daim gris pâle, souple, bordé de satin bleu, garni de dentelles anciennes, permettant l'aisance des mouvements.
C'est en satin noir brodé, ou rouge, ou bleu, de teinte criarde, éventaillé d'or et d'argent, solide, élégant, et très laid qu'est le corset de la femme commune ; les austères y mettent de la lavande, les autres de l'opoponax. Beaucoup n'y mettent rien du tout.
Tel corset, peut-on dire, telle femme ».
Sources :
(1) Le corset, étude physiologique et pratique, 1900, par Inès Gaches-Sarraute
(2) Beauté-Corset , Organe du Corset et des Industries qui s'y rattachent, Revue mensuelle, 1902
(3) La question du corset - L'art d'être jolie, 1904
(4) Henri de Parville (à propos de l'intervention de Mme Gaches-Sarrautes à la Société de médecine publique), juin 1895, dans La science illustrée
(5) L'histoire des sous-vêtements féminins, Muriel Barbier et Shazia Boucher, 2010, Parkstone Press International
(6) Oeuvres de chair : figures du discours érotique, Gaétan Brulotte, 1998
(7) Des femmes se liguent contre le corset (Touche à tout, Magazine des Magazines, février 1909)
Sources images :
Collection Maciet sur le site des Arts Décoratifs
Dessins comparatifs des différents types de corsets : Le corset, 1908, Dr O'Followell (Wikisource)