Par arrêt rendu ce 13 juillet 2012, le Conseil d'Etat a rejeté le recours par lequel deux sociétés avaient demandé l'annulation du décret n° 2011-984 du 23 août 2011 modifiant la nomenclature des installations classées pour y inscrire les éoliennes.
L'arrêt peut être consulté ici.
Pour mémoire, par une décision en date du 16 avril 2012 (n°353577), le Conseil d'Etat avait rejeté une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L.553-1 du code de l'environnement, lequel prévoit que les éoliennes sont soumises au respect de la police des ICPE.
Par arrêt du 13 juillet 2012, le Conseil d'Etat rejette le recours au fond.
A titre liminaire, rappelons que le principe d'un recours contre le décret inscrivant les éoliennes dans la nomenclature ICPE a été approuvé par 80% des adhérents de France Energie Eolienne. Ce vote a démontré la très forte opposition à une réforme qui complique inutilement le régime juridique de cette activité de production d'énergie renouvelable et tend à nuire à son image même. Un très fort consensus existait en faveur de ce recours au sein de la profession.
Sur le fond, l'arrêt du Conseil d'Etat prête à débat. Une autre solution était possible. A l'évidence, l'arrêt démontre un problème aîgu de méconnaissance du principe de participation du public. Or, au terme d'un raisonnement complexe, la Haute juridiction écarte le moyen et la difficulté en se concentrant sur la date à laquelle la requête a été introduite. Un raisonnement susceptible d'être controversé.
En grossissant le trait, on pourrait affirmer que la légalité d'une décision administrative peut dépendre la date à laquelle le recours tendant à son annulation est introduit. L'arrêt du Conseil d'Etat suggère en effet que le décret ICPE est sans doute contraire au principe constitutionnel de participation mais que la déclaration d'inconstitutionnalité de la base législative du décret ICPE ne peut produire d'effet pour les instances en cours à la date de la décision du Conseil constitutionnel.
Surtout, l'analyse du Conseil d'Etat selon laquelle l'extension du classement ICPE par le pouvoir réglementaire ne pourrait porter atteinte au développement de l'éolien sur notre territoire semble remise en cause par les faits eux-mêmes qui démontrent un infléchissement des taux de création et de raccordement des parcs depuis 2010. Il est assez étonnant de lire que le classement ICPE ne saurait constituer une "entrave".
En premier lieu, la Haute juridiction a jugé que le Conseil supérieur de l'énergie n'avait pas à être consulté préalablement à la signature du décret entrepris :
"2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 45 de la loi du 8 avril 1946, dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 2000 : " Le Conseil supérieur de l'énergie est consulté sur : / 1° L'ensemble des actes de nature réglementaire émanant de l'Etat intéressant le secteur de l'électricité et du gaz, à l'exception de ceux qui relèvent du domaine de compétence de la Caisse nationale des industries électriques et gazières (...) " ; que ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'imposer la consultation du Conseil supérieur de l'énergie préalablement à un décret ayant pour objet de soumettre les installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent à la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement ; qu'au demeurant, il ressort des pièces des dossiers que le décret litigieux a été soumis à ce conseil qui a émis un avis favorable le 8 juillet 2011 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait illégal faute d'avoir été précédé de la consultation préalable du Conseil supérieur de l'énergie ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté"
En second lieu, le Conseil d'Etat écarte le moyen tenant à l'absence d'expert éolien au sein du Conseil supérieur de prévention des risques technologiques.
"3. Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance, à la supposer établie, qu'aucun expert en matière d'éoliennes n'ait siégé lors de l'examen du projet de décret par le Conseil supérieur de prévention des risques technologiques qui, en application du premier alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement, a été consulté préalablement à l'adoption du décret litigieux, est dépourvue d'incidence sur la régularité de l'avis émis dès lors qu'une telle présence n'était requise par aucun texte ; que le moyen tiré de ce que l'avis de ce conseil supérieur n'a pas été rendu dans des conditions régulières n'est pas assorti des précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien fondé"
En troisième lieu, le Conseil d'Etat écarte le moyen tiré d'une méconnaissance du principe de participation par les auteurs du décret litigieux, au terme d'un raisonnement qui mérite d'être commenté et débattu.
Dans un premier temps, l'arrêt précise que le décret n'a pas été publié contrairement aux prescriptions de l'article L.511-2 du code de l'environnement
"4. Considérant, en troisième lieu, qu'en vertu du second alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement dans sa rédaction, applicable au litige, issue de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, les projets de décrets de nomenclature font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant transmission pour avis au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques ; qu'il ressort des pièces des dossiers que le projet de décret modifiant la nomenclature des installations classées a été publié sur le site du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement du 10 au 29 mai 2011 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le projet de décret n'aurait pas été publié conformément aux dispositions de l'article L. 511-2 du code de l'environnement n'est pas fondé "
Dans un deuxième temps, l'arrêt souligne que le Conseil constitutionnel a déjà déclaré contraire à la Constitution le second alinéa de cet article L.511-2 :
"5. Considérant, il est vrai, que par sa décision n°183/184 QPC du 14 octobre 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le second alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 11 juin 2009, qui soumettait à une obligation de publication préalable les seuls projets de décrets de nomenclature pour les installations enregistrées, au motif que, d'une part, l'exigence de publication ne concernait pas les projets de décret de nomenclature pour les installations autorisées ou déclarées et, d'autre part, que ni cette disposition ni aucune autre disposition législative n'assuraient la mise en oeuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ;"
Dans un troisième temps, l'arrêt souligne que cette déclaration d'inconstitutionnalité ne peut produire d'effets pour les instances en cours...
"6. Mais considérant qu'il résulte du dispositif de la décision du Conseil constitutionnel que la déclaration d'inconstitutionnalité entraînant l'abrogation du second alinéa de l'article L.511-2 du code de l'environnement ne prend effet qu'au 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 10 ; que ce dernier considérant, qui rappelle qu'en principe la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et que la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, ne fixe pas d'autres dispositions relatives aux conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ; que les requêtes des sociétés V. et I. ont été enregistrées postérieurement à cette décision ; que, dès lors, cette déclaration d'inconstitutionnalité est, en tout état de cause, sans incidence dans la présente instance"
Malheureusement pour les requérants, ils subissent un calendrier défavorable : si leur requête avait pu être enregistrée plus tard, postérieurement à la déclaration d'insconstitutionnalité du second alinéa de l'article L.511-2 du code de l'environnement : le décret classent les éoliennes en ICPE aurait sans doute été annulé.
Dans un quatrième temps, le Conseil d'Etat contrôle donc la conformité du décret entrepris avec les dispositions de l'article L.511-2 précité, dans leur rédaction antérieure à la déclaration d'inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel.
"7. Considérant qu'il résulte de l'article 7 de la Charte de l'environnement que le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement s'exerce dans les conditions et les limites définies par la loi ; que, lorsque des dispositions législatives ont été prises pour en assurer la mise en oeuvre, la légalité des actes réglementaires et des décisions administratives s'apprécie par rapport à ces dispositions, sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, quelles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de cette charte ; qu'ainsi, la légalité du décret attaqué doit être appréciée au regard du second alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi du 17 mai 2011, lequel n'impose pas la participation du public à son élaboration mais, ainsi qu'il a été dit au point 4 de la présente décision, la publication par voie électronique des projets de décrets ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret n'a pas été, conformément à l'article 7 de la Charte de l'environnement, précédé d'une participation du public à son élaboration doit être écarté ;"
En quatrième lieu, le Conseil d'Etat ne censure pas le fait que le pouvoir réglementaire soit allé bien au-delà de ce qu'a prévu le législateur.....dés lors que ce dernier ne le lui a pas interdit. La partie de l'arrêt qui sera sans doute la plus controversée :
"8. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions combinées de l'article L. 553-1 du code de l'environnement, issu du VI de l'article 90 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, et du 3° de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité auquel renvoient ces dispositions, que le législateur a entendu que les installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent constituant des unités de production composées d'un nombre de machines électrogènes au moins égal à cinq et dont la hauteur des mâts dépasse cinquante mètres soient soumises au régime de l'autorisation des installations classées pour la protection de l'environnement prévu par l'article L.511-2 du même code ; que, toutefois, il ne résulte ni de ces dispositions, ni des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 12 juillet 2010 que le législateur ait entendu priver le Premier ministre de l'exercice du pouvoir de police spéciale qu'il détient en vertu de l'article L.511-2 du code de l'environnement pour soumettre à autorisation, enregistrement ou déclaration les autres installations présentant des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit encore pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique"
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la circonstance que le décret attaqué ait soumis à autorisation au titre de la réglementation des installations classées non seulement, ainsi que le prévoit l'article L. 553-1 du code de l'environnement, les installations mentionnées par cet article mais également, sur le fondement des dispositions de l'article L. 511-2 du même code, d'autres installations, n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret aurait, en soumettant à autorisation d'autres installations que celles expressément définies à l'article L. 553-1, méconnu les dispositions de cet article doit être écarté ;"
En cinquième lieu,le Conseil d'Etat juge que le pouvoir réglementaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en étendant le régime d'autorisation ICPE, et ce, sur le fondement notamment d'un rapport de l'INERIS de décembre 2011.
"10. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces des dossiers, notamment d'un rapport de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques de décembre 2011 que l'implantation et l'exploitation des installations définies par le décret attaqué présentent des risques et inconvénients, de la nature de ceux qu'énonce l'article L. 511-1 du code de l'environnement, pour la sécurité et la santé publiques, la faune ainsi que pour la préservation de l'environnement et sont susceptibles de porter atteinte aux paysages ; qu'ainsi, l'auteur du décret n'a pas commis d'erreur manifeste, dans l'appréciation à laquelle il s'est livré des dangers ou inconvénients pouvant découler du fonctionnement de ces installations pour les intérêts protégés par cet article, en soumettant au régime de l'autorisation les installations d'éoliennes comprenant au moins un aérogénérateur dont le mât a une hauteur supérieure ou égale à 50 mètres ainsi que celles comprenant un aérogénérateur dont le mât a une hauteur comprise en 12 et 50 mètres et une puissance totale installée supérieure ou égale à 20 MW et au régime de la déclaration les installations d'éoliennes comprenant des aérogénérateurs d'une hauteur comprise entre 12 et 50 mètres et d'une puissance inférieure à 20 MW"
L'arrêt aurait pu également souligner que de nombreux autres rapports soulignaient l'inutilité du classement ICPE des éoliennes au regard des risques trés réduits qu'elles présentent.
En sixième lieu, l'arrêt précise que le classement ICPE ne créé pas une entrave au développement de cette énergie.
11. Considérant, en troisième lieu, que la soumission des installations terrestres de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent à la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement n'impose pas des sujétions constitutives d'une entrave au développement de l'exploitation de l'énergie mécanique du vent et ne crée en particulier pas des règles nationales qui ne seraient pas proportionnées et nécessaires ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait contraire aux objectifs définis par la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 préconisant le développement de la production de l'énergie produite à partir de sources renouvelables doit être écarté "
Alors que le développement de la puissance installée en éolien s'effondre depuis l'entrée en vigueur de ce classement, cette analyse du Conseil d'Etat est susceptible d'être débattue au regard des données disponibles sur le raccordement des parcs éoliens.
En septième lieu, le Conseil d'Etat écarte assez rapidement le moyen tiré de la violation du principe d'égalité dés lors que les éoliennes offshore ne sont pas soumises au même classement ICPE.
"12. Considérant, enfin, que la circonstance que seules les éoliennes terrestres soient soumises au régime des installations classées pour la protection de l'environnement, tandis que les implantations offshore y échappent, correspond à une différence de situation en ce qui concerne les effets de ces installations et les dangers ou inconvénients qu'elles présentent ; qu'au demeurant, les éoliennes offshore sont soumises à d'autres autorisations administratives liées à leur implantation en mer ; que par suite, le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi en soumettant les seules éoliennes terrestres au régime des installations classées pour la protection de l'environnement doit, en tout état de cause, être écarté "