Si les grands salons de l’aéronautique étaient organisés au seul profit des médias, sans doute pourraient-ils être avantageusement remplacés par quelques centaines de mètres carrés loués en centre ville. Chacun y gagnerait en temps, en argent et en fatigue. Mais, fort heureusement, il y a une vie en dehors d’Airbus, Boeing, et de leur myriade de partenaires, sous-traitants et fournisseurs.
Ce préalable étant posé, la bonne conscience des uns et des autres étant ainsi préservée, au lendemain de la fermeture de l’édition 2012 de Farnborough, quelques leçons viennent à l’esprit. Dépourvues de la moindre originalité mais néanmoins utiles.
La «guerre» Airbus-Boeing a fait le bonheur, une fois de plus, des envoyés spéciaux, grandes agences de presse en tête. Il leur a en effet suffi de ne pas quitter des yeux deux exposants, sur un total de 1.500 environ, pour diffuser des dizaines de dépêches, pour la plupart construites sur du sable, mais sans comporter pour autant la moindre erreur factuelle.
En 4 jours, Boeing a «vendu» (il faudrait dire «annoncé la vente») de 396 avions, dont 150 à United Airlines (notre illustration). Au cours de la même petite semaine, Airbus n’a «vendu» que 115 appareils. D’où la conclusion un peu facile que l’avionneur américain fait à nouveau la course en tête, qu’il a repris les devants. La réalité est évidemment beaucoup plus nuancée et, de toute manière, le bilan final, à 6 mois, dans un an, deux ans, est connu d’avance : les rivaux seront …à 50/50, à quelques nuances près. D’où l’inutilité, la fatuité, de commentaires entendus ces jours derniers.
Ainsi, en y regardant le plus près, on note que la nouvelle version remotorisée du 737, baptisée MAX, totalise à présent 649 commandes, contre 1.454 NEO d’Airbus. Mais, potentiellement, les deux frères ennemis n’en sont pas moins à quasi égalité, Boeing ayant en effet placé environ 1.200 MAX. Mais les agenciers, qui vont systématiquement plus vite que la musique, oublient systématiquement que plusieurs mois s’écoulent entre le choix d’un type d’avion, la signature d’un contrat en bonne et due forme et le dépôt d’arrhes. Un contrat type remplit une demi-bibliothèque.
«On» dit aussi que Boeing ferait preuve d’une grande agressivité commerciale, formule élégante pour affirmer que les commerciaux de Seattle seraient enclins à casser les prix. Où sont les preuves ? Evidemment inexistantes ! Et pourquoi, de toute manière, en irait-il ainsi, surtout en matière de monocouloirs ? Compte tenu de l’ampleur spectaculaire des ventes de MAX et NEO, les délais de livraison tendent à s’allonger au point d’inciter les compagnies à patienter. Airbus n’est probablement plus en mesure de vendre des NEO livrables avant la fin de la décennie et il en ira bientôt de même pour le MAX. Ce qui n’accroît pas pour autant les chances de succès de leurs challengers, ou supposés tels, Irkut MS 21 et Comac C919, en quête de crédibilité. Reste le cas particulier du Bombardier C.Series, qui joue dans une autre catégorie, et susceptible de mieux réussir, sur le segment des 130/150 places, que ne veulent bien le dire des esprits chagrins.
Reste «la» question, celle du risque d’apparition d’une dangereuse «bulle». Dans le jargon médiatique, on appelle cela un marronnier. C’est-à-dire un thème récurrent, sans cesse ressassé, inépuisable, limite «jus de crane», faisant intervenir les incontournables experts qui n’ont rien d’autre à faire que de répandre des avis définitifs basés sur l’air du temps ou la libre interprétation du Financial Times et du Wall Street Journal. Ni plus, ni moins.
Que nous disent-ils, ces jours-ci ? Que les compagnies et les grands loueurs, refrain connu, se laissent emporter et griser par des prévisions de croissance du trafic probablement très optimistes, achètent trop d’avions, prélude à une vague d’annulations. Au même moment, à Seattle, où les commentaires émotionnels ne sont jamais de mise, où la prudence règne en maître, on laisse entendre qu’il faudrait tout au contraire pousser les feux. A320 et 737 seront bientôt produits, au total, au rythme de 88 exemplaires par mois mais il faudrait passer à 120/mois pour asseoir le ratio entre demande et livraisons. Du coup, les tenants de la théorie de la bulle sont invités à se taire. Verdict dans 2 ou 3 ans.
Pierre Sparaco - AeroMorning