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Par Mauss

Un lecteur pointilleux se soucie, sur le site de Nicolas, de l'endroit où j'écrivais des billets sur le web, avant la mise en place de ce blog, il y a 4 ans.

C'était sur un site GJE, fermé depuis et comme je me suis permis un voyage temporel pour retrouver ces articles qui sont dans une base FMP, c'est intéressant de relire quelques textes, histoire de voir à quel point ce qui était écrit en 2007 ou 2008 est toujours d'actualité ou non. 

Je remets donc ci-dessous in extenso, sans corrections, un texte sur le système bordelais… qui mérite certainement d'être revu. Mais bon : ça donne une idée de l'évolution des choses…

Publié le 19 mars 2007

TITRE : LE SYSTEME DES PRIMEURS A BORDEAUX

Si la Champagne est incontestablement la région vinicole française qui a, de loin, le système marketing, le contrôle, l’image les plus efficaces, Bordeaux a créé une organisation unique de ses ventes avec ce qu’on appelle le « NEGOCE ».
Là encore, ce sont nos amis anglais, puis hollandais et allemands qui ont mis en place cette organisation particulière : les châteaux produisent, le négoce vend.
On aura compris immédiatement les avantages et inconvénients d’un tel système.
Rappelons brièvement et schématiquement le fonctionnement de cette dualité. Lors du mois de mars qui suit la dernière vendange, les courtiers et négociants dégustent “en primeurs” les vins des châteaux les plus importants, ceux qui ont un réel potentiel international. Commence alors un va-et-vient de discussions, d’évaluations, de notes, de commentaires, tous éléments qui vont permettre aux châteaux de définir un « prix de sortie ». Afin de se réserver éventuellement une valorisation accrue ultérieurement par une seconde vente à un prix plus cher, les châteaux pratiquent aussi le système des « tranches » : on ne vend d’abord qu’une portion du volume produit, et en fonction du succès de cette première vente, on peut réajuster le prix pour le solde du volume disponible.
Les châteaux, conscients des qualités et des défauts de leurs vins, par l’intermédiaire de professionnels qui s’appellent les « courtiers » proposent, généralement avant fin juin, des « allocations » aux négoces sur la base d’un prix dont ils sont, in fine, les seuls décideurs.
Les négociants sont ainsi capables de communiquer avec leurs grands clients internationaux sur la quantité et la valeur des divers crus, et donc « sentir » les potentialités de commande. Alors, ils acceptent ou pas les allocations proposées.
Avantages
•    la propriété n’a pas à mettre en place un système coûteux de réseau de vente
•    la propriété reste proche de ses acheteurs, de leur réputation, de leurs banquiers. Les risques financiers sont réduits
•    la propriété dispose ainsi d’une trésorerie précieuse alors même que les vins sont encore en élevage (car ils ne sont livrés et disponibles que deux ans plus tard, après leur « élevage »)
Inconvénients
•    le château ne connaît peu ou pas ses clients finaux. C’est un réel handicap
•    en fonction de la qualité du millésime, de la force de négociation du négoce, de la réputation du cru, il arrive régulièrement que c’est en fait le négoce qui fasse la loi et fixe les prix : la propriété doit alors s’incliner dans ce rapport de force car elle ne dispose d’aucun outil pour vendre efficacement son vin
Comme d’habitude, ces remarques générales doivent être modulées, et les rapports de force sont plus que jamais mouvants et alternatifs. On a vu récemment des châteaux qui ont voulu quitter le système… et y revenir précipitamment, en devant supporter une punition plus ou moins forte.
On a vu des châteaux qui rejetaient le négoce et qui finalement ont compris, que dans leur position, ils pouvaient tirer un meilleur revenu, des facilités de trésorerie, en travaillant avec le système.
Des dizaines d’ouvrages ont paru sur le sujet et le monde des amateurs connaît les Johnston, les Mähler-Besse, les Cordier  et, plus récemment, les Moueix et Castéja, deux redoutables négociants qui sont souvent incontournables.
Pour autant, le système devra probablement évoluer pour deux raisons majeures :
•    Internet devient un outil puissant, bon marché et mondial. Tout le monde attend avec anxiété que la loi américaine, qui défend, en dépit du bon sens libéral et en reste de la prohibition, un système dit des « trois-tiers» (importateur, distributeur, revendeur) où chacun prend une marge conséquente, tout le monde des amateurs attend que cette loi se lézarde et disparaisse. Ne nous y trompons pas : ce n’est pas pour demain, mais cela se fera et ce sera une énorme révolution.
•    la GD (Grande Distribution) a un pouvoir d’achat gigantesque, se contente de marges raisonnées et tient de plus en plus à acheter directement à la propriété pour éviter de payer la marge des courtiers et du négoce. Quand on voit les expansions des grands groupes à l’étranger (Carrefour, Auchan et autres), on comprendra que le handicap d’une image soit-disant peu valorisante de la GD deviendra de moins en moins un frein à ce canal de distribution et de vente.
Dans ce système complexe où plusieurs aspects tiennent du poker-menteur, est venu s’ajouter un acteur dont le pouvoir est réel : Robert Parker. Ce génie de la communication, du commentaire compréhensible, du système immédiatement compréhensible d’une note sur 100 est devenu un élément majeur de la définition du prix (et à sa suite, un paquet de journalistes du monde entier).
En effet, il se trouve que la promotion d’un vin – et donc son succès commercial – passe par ce qu’en disent les meilleurs critiques. C’est un fait indiscutable. Et l’Union des Grands Crus de Bordeaux, dans le grand pragmatisme qui la caractérise, a vite compris qu’il fallait ouvrir et canaliser les « primeurs », d’abord à la presse professionnelle, et ensuite, devant le succès et les demandes, à la presse générale.

Et c’est pourquoi, fin mars, les petites départementales de la Gironde sont envahies de journalistes qui courent ici et là, déguster, à l’aveugle ou pas, les vins de quelques centaines de châteaux. Les propriétaires mettent les petits souliers dans les grands, les tapis rouges sont réservés aux noms les plus illustres, et chacun attend avec impatience les notes de dégustation des plus fameux, tout le monde sachant bien que seule la note de Robert Parker peut apporter la cerise sur le gâteau de tel ou tel domaines qui bénéficieront alors d’une vente plus rapide, d’un meilleur prix, tant il est vrai que la règle fondamentale est la suivante : SI LE NEGOCE S’INTERESSE A LA QUALITÉ, IL ACHETE AVANT TOUT UNE MARGE. On connaît l’exemple de plusieurs domaines qui, fort d’une note exceptionnelle chez Robert Parker, ont cru pouvoir demander un prix plus élevé. Mal leur en a pris, car le négoce, pas fou, doit assurer un financement de plus en plus lourd, eu égard à l’envolée des prix des meilleurs crus.
Avec le millésime 2005, on a atteint un certain paroxysme car on a eu la conjonction de 3 facteurs essentiels :
•    le millésime avait des qualités réellement exceptionnelles : les trois maturités étaient là en même temps : le sucre, les arômes, les tanins des pépins.
•    le monde bordelais avait très savamment orchestré cette information bien avant l’arrivée des journalistes qui n’avaient plus à être convaincus
•    et Robert Parker était d’accord sur l’exceptionnel de ce millésime.
Pour le millésime 2006 qui va être dégusté cette année, les choses sont plus délicates :
•    le dollar est fortement pénalisé encore contre l’euro
•    les premiers échos sur la qualité du millésime sont loin d’approcher ceux du 2005
•    et surtout le négoce, les importateurs, les distributeurs ont encore sur les bras de gros volumes de 2005 qui pèsent fortement sur leur trésorerie : il va falloir que la place de Bordeaux considère sérieusement ce facteur, quand bien même il y aurait ici et là, des réussites de ce millésime mouillé particulièrement affirmées.
Conclusion ? Plus que jamais il faudra être sélectif. On attend des acteurs, que ce soient les propriétaires, les négociants, les importateurs, qu’ils pensent un peu plus au client final qui a déjà beaucoup dépensé en 2000, 2001, 2003, 2005.
Les futés, eux, auront trouvé les joyaux de 2002 et de 2004 : et il y en a à tous prix, dans toutes les appellations : à chacun de les chercher dans les « sleeping beauties» régulièrement indiquées chez les meilleurs et plus consciencieux journalistes.

Bouh ! Je ne résiste pas à recopier ici un autre papier écrit le 14 juin 2007 : on a le droit de me reprocher là un orgueil excessif et totalement inapproprié !

TITRE : QUEL EST L'AVENIR DU VIN FRANÇAIS

Tel est le titre de l’émission que la radio BFM va organiser en direct avec d’éminents spécialistes, le lundi 18 juin à 15h00 sur le stand SOPEXA à VINEXPO.
Il y aura MM Alain Marty et Philippe Faure-Brac pour animer ces discussions où, on ose l’espérer, la langue de bois restera au vestiaire.
Qu’il nous soit permis d’évoquer ici quelques points dont on aimerait qu’ils soient développés, contredits ou affirmés, nuancés ou appuyés.
Premier Point :
Il y a un marché des grands vins, ou plutôt un marché des vins chers, qui touche de moins en moins la clientèle nationale, eu égard aux prix pratiqués. Au-dessus de € 50, l’amateur français hésite la plupart du temps à encaver les crus qui sont proposés à ces prix. L’offre et la demande règne en maître absolu et on ne peut reprocher aux vignerons qui font un réel travail qualitatif – et qui le font savoir - , d’en engranger les bénéfices. A nous de devenir plus riche !
Il est extrêmement facile de lister une bonne centaine de vignerons dont plus de 90 % des vins partent hors de France. Bravo pour eux, tant pis pour nous si nous ne sommes pas assez fortunés et tant mieux pour ces Producteurs qui n’ont certes pas à se plaindre de quoi que ce soit, sinon des charges fiscales, notamment en matière de succession, bien plus lourdes qu’en Italie, pour ne prendre qu’un seul exemple.
Second Point :
Il y a un marché du vin “industriel” où la France a de sérieux retards. Il faut des marques puissantes, des équipes marketing de haut niveau, des budgets publicitaires conséquents et surtout de nouvelles lois qui simplifient sérieusement les conditions de production, l’idéal étant d’avoir peu ou prou les mêmes réglementations que celles qui régissent la viticulture américaine, australienne, chilienne. En d’autres termes, là où tout est pratiquement permis, mais en restant inflexible sur le principe fondamental : le vin doit rester le produit de la fermentation du raisin.
Ici, un principe simplissime à mettre en place : l’Union fait la Force. Ce n’est pas gagné, mais ce doit être possible. Les Skalli, les Castel, les Cazes, les Mau, les Ricard et autres moguls des grandes coopératives peuvent être compétitifs et présenter des vins, au moins, corrects.
Troisième Point :
L’avenir du vin français se trouve dans son passé. On a la chance inouïe d’avoir eu des Pères qui ont mis en place le système des AOC sans lequel, soyons nets, on serait loin de la variété exceptionnelle du vignoble national, quand bien même ceux qui font “bon” ne sont qu’une sensible minorité. C’est là que le bat blesse : trop de vignerons n’ont plus le feu sacré, et cela, les amateurs le ressentent. Bien sûr, il faut s’adapter, bien sûr que nos conditions de vie sont bien différentes : on ne déjeune pratiquement plus chez soi ; on boit de moins en moins, et les contraintes – légitimes – de la maréchaussée freinent sérieusement tous nos débordements inadaptés. Mais, comme dit le slogan, si on n’a pas de pétrole, on a des idées, non ?
Ces mauvais vignerons, non seulement donnent bien trop souvent une image néfaste de leur région, mais ils pénalisent, par leur médiocrité, ceux qui font bons. Il faut remuer cette fourmilière endormie, mais il faut surtout la déshabituer de réclamer à Bruxelles ou à Paris, des subventions qui n’avancent à rien, sinon à rendre jaloux d’autres catégories méritant probablement plus d’aides eu égard à leur situation.
Un vigneron qui fait réellement “bon” trouve en moins de 5 ans son marché si ses prix restent corrects. Toute la profession sait que l’avenir passe par l’oenotourisme pour une bonne partie des ventes et par internet pour une autre partie qui ira croissante. Mais à eux de se retrousser les manches !
Qu’on arrête de pleurer : le nouveau monde n’a pas de tradition comme la nôtre : il a dû partir de zéro : il a bossé, et on voit les résultats. Du Ministre au député local, de la coopérative au petit vigneron qui travaille ses 2 hectares, que chacun travaille de concert pour redynamiser tout ce secteur économique qui doit rester “la” gloire de notre agriculture.
Certes, ce ne sont là que quelques rapides pistes de discussions…