Hier, 16 juillet, la France commémorait les 70 ans de l'une des pages les plus tragiques, les plus sombres, les plus honteuses de son histoire. Une page qui restera à jamais une tâche sur le drapeau français. Il y a 70 ans la police française, sous les ordres du gouvernement français auquel les pleins pouvoirs avaient été votés par le parlement le 10 juillet 1940, décidait de l'arrestation et de la déportation de 13 152 juifs de France. Le tout sans aucune pression de l'occupant allemand. Des familles entières furent déportées par l'Etat français, par la République Française. Mais voilà qu'au détour de la première journée de commémoration lundi 16 juillet, un sondage est venu glacer le sang.
En effet selon cette étude réalisée par CSA pour l'Union des Étudiants Juifs de France, 60% des 18-24 ans n'ont jamais entendu parler de la rafle du Vel d'Hiv. La majorité est toujours écrasante (57%) chez les 25-34 ans. Une fois passé le choc, l'incrédulité face à des chiffres si perturbants, une question surgit : comment a-t-on pu arriver à une faillite scolaire, societale, mémorielle et collective aussi importante et aussi grave ?
Plusieurs pistes pour expliquer ce déficit total de devoir de mémoire. D'abord la posture gaullienne, reprise par Pompidou, VGE, et Mitterrand selon laquelle Vichy n'était pas la France. Sur la volonté de réconcilier les Français on a oublié la mémoire. Jacques Chirac en 1995, a été le seul président de la République à reconnaître la responsabilité totale de l'Etat français dans cette ignominie. "La France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux", ce furent les mots de Jacques Chirac en juillet 1995. Depuis plus rien. Rien du côté de Nicolas Sarkozy. François Hollande doit lui s'exprimer le 22 juillet prochain. Nous verrons ce qu'il dira. Mais face à ce sondage, il serait bien inspiré de mette ses pas dans ceux de Jacques Chirac.
L'autre accusé est sans aucun doute notre système scolaire. Une anecdote d'abord. Lorsque l'auteur de ces lignes était au lycée, la deuxième guerre mondiale figurait au programme de 1ère. Cela arrivait à la fin de l'année mais il y avait assez de temps pour aller au fond des choses. La prof était réputée et reconnue comme une très bonne prof. Seulement voilà, elle a fait 5 ou 6 cours sur la guerre, sans jamais aborder la collaboration ni même la rafle du vel d'hiv. L'auteur de ces lignes lui a fait remarquer. Elle a ricane en disant que cela serait abordé en terminale lors du bilan de la guerre. Les élèves de la terminale ES1 attendent toujours.
Cas isolé d'une prof dans un lycée favorisé. Mais qu'en est il ailleurs ? Comment cela est-il possible ? L'école lieu par excellence de l'apprentissage, de la mémoire et de l'analyse oublie donc son rôle. On en arrive même à ce genre de témoignage. Celui de Iannis Roder, prof d'histoire en seine saint denis dans le Nouvel Obs. Il y confie notamment qu'il a de plus en plus de mal à enseigner la Shoah.
Enfin, nous sommes collectivement responsables. Responsables de laisser une mémoire s'éteindre. De laisser cette mémoire s'évaporer. Responsables de ne pas l'entretenir, de ne pas la cultiver. Sans mémoire, sans histoire, nous ne serons bientôt plus que des électrons lancés à toute vitesse dans la course du temps et de l'avenir. Sans compréhension du passé aucun avenir n'est possible. Cela voudrait-il dire qu'une société qui oublie sa mémoire positive comme négative est vouée à l'échec et pire, à la disparition. Ce genre de sondage le demontre chaque jour un peu plus. "il est encore fécond le ventre d'où surgit la bête immonde" écrivait Brecht dans la "résistible ascension d'Arturo Ui". Terriblement d'actualité.