Alors oui, je peux comprendre ceux qui ont vécu la même chose que moi, ou même n’importe quelle maladie mentale. Je connais les ravages de la perte de soi et les portes fermées des institutions déshumanisantes. Je connais la solitude et le rejet. Je connais la mort à vingt ans. Je peux parler de tout ça comme on parle de la pluie et du beau temps, ça a été mon quotidien pendant si longtemps. Je ne jugerai jamais les suicidés parce que je les comprends. Je connais le prix élevé de la vie. Je peux même rire de tout ça. Je peux parler des psychotropes comme un pharmacien. Je peux parler des médecins et des traitements comme si j’avais quatre vingt-cinq ans. Je peux pleurer sur la douleur des autres parce que je ne la ressens que trop bien. Je peux être la seule à qui on ose parler de tout ça parce que les autres ne comprennent pas. Je peux apporter du réconfort à certains, en aider d’autres à comprendre. Je peux dire ce que je pense de la façon dont la psychiatrie nous traite, en bien ou en mal. J’ai un avis sur telle théorie ou sur telle autre.
Mais devant celui qui tombe, là, maintenant, celui qui ne veut pas en parler parce que la schizophrénie, pense-t-il, ne le concerne en rien, devant celui pour qui je suis celle qui ne comprend rien, comme les autres, je suis comme tout le monde. Je ne suis pas mieux que les autres, je ne fais rien de plus que les autres. Je le regarde tomber. Je m’énerve devant son attitude, je balaye le problème, impuissante, je parle dans le vide ou encore pire je me tais. Je trouve ça triste. Je culpabilise. Je m’écoeure de n’être pas meilleure que les autres, moi qui suis passée par là. Je suis comme ces autres qui me regardaient tomber en tapant du pied de rage ou qui tournaient le dos. Je ne suis rien de plus.
Moi non plus, je ne sais pas ce qu’il faut faire. Et je pleure sur la cruauté de cette maladie, la belle affaire!
Classé dans:Réflexions personnelles