Ah! Le silence! Oublier le bourdonnement des hélicoptères, le rugissement des moteurs boostés à la testostérone, les éclats nocturnes des festivaliers un peu ronds, ou même simplement la rumeur ordinaire et incessante de la ville. Retrouver le calme de la forêt, des lacs, des sentiers ombragés…
La voiture pleine à ras bord de tout le barda essentiel à quatre jours de pêche, nous prenons la route et filons vers Charlevoix. Déjà, les panoramas grandioses de Saint-Tite-des-Caps nous dépaysent et nous détendent. Arrêt à Baie-Saint-Paul pour rejoindre le groupe et nous roulons bientôt avec enthousiasme vers le Parc des Grands-Jardins où se cache ce paradis qui nous appelle.
Notre inscription faite à l’accueil, nous avons le feu vert pour gagner notre chalet. Les pneus mordent le chemin gravelé et les cailloux crépitent sous le châssis. Vingt minutes, les dernières, avant le silence tant espéré. Les quatre véhicules se garent devant le camp et les joyeux vacanciers entreprennent de transborder les montagnes de bagages — sacs, vivres, équipements et agrès — dans le bâtiment, à grands claquements de la porte-moustiquaire. Bon, ça achève. L’accalmie de la nature va enfin descendre sur nous comme le crépuscule sur le jour. Encore quelques bing bang provoqués par les activités d’installation, puis par celles de la préparation du souper. Nous voilà à table. Huit gais lurons qui ne se sont pas vus depuis un an, ça jase… et fort. Les conversations se croisent, et le vin aidant, le ton monte. Brouhaha festif.
Avec la nuit adviendra enfin le silence. Après le va-et-vient dans les salles de bain, nul doute que le monde entier se taira. Malheureusement, je sombre aussitôt dans un sommeil de plomb qui ne me lâchera qu’au matin. J’ouvre les yeux, le soleil allume le rideau, la cascade de la rivière gazouille tout près, quelques oiseaux pépient en chœur. De la cuisine m’arrivent des cliquetis de vaisselle. La pêche m’appelle et je bondis sur mes pieds. Tous sont déjà debout et palabrent de plus belle.
Nous reprenons la route pour gagner notre lac. Nouveau crépitement de gravier, claquement de portière, martèlement sourd des bottes sur le sentier, choc des équipements transférés dans la chaloupe. Nous sommes enfin sur le Pattu. Les bourrasques promettent du boulot aux rameurs. Sur ce plan d’eau, la truite aime qu’on la cherche et la cueille à la traîne. Il nous faudra toute une journée pour faire notre pêche. Toute une journée avec du bruit plein les oreilles. Couinement et grincement des tolets à chaque coup de rame, tapotage des vagues contre la proue, clapotis d’eau remuée, sifflement du vent dans la tête des épinettes. Si bien qu’on doit faire répéter les rares paroles échangées.
Comme ça, trois jours durant.
Mais qu’est-ce que le silence? Existe-t-il seulement, que je me demande sur le chemin du retour? Je suis si perplexe que je sens le besoin de me raccrocher à une définition. Le silence serait l’absence de perception des sons. Dans une chambre parfaitement insonorisée, on entend le tambourinement de notre propre cœur, l’écho de notre respiration et même, semble-t-il, un chuintement aigu qui viendrait de notre système nerveux, dixit Wikipédia… sans parler des acouphènes…
Le silence n’existe donc pas… alors qu’ai-je trouvé de si merveilleux dans cette cacophonie? De n’avoir rien d’autre à faire que d’être attentive à ce doux tumulte si bien accordé au déroulement de mes pensées? D’avoir le temps de laisser ces bruits exploser en images. Tiens, tiens… les bruits comme trame sonore de mes rêveries…
C’est peut-être ça en fin de compte que je cherche… et que je trouve à la pêche: le temps de rêver.