[Critique] BATMAN BEGINS

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Batman Begins

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Christopher Nolan
Distribution : Christian Bale, Michael Caine, Katie Holmes, Gary Oldman, Cillian Murphy, Liam Neeson, Morgan Freeman, Ken Watanabe, Rutger Hauer, Tom Wilkinson, Larry Holden, Gerad Murphy, Colin McFarlane, Sara Stewart…
Genre : Action/Thriller/Adaptation/Saga
Date de sortie : 15 juin 2005

Le Pitch :
Bruce Wayne, jeune héritier fortuné, parcours le monde à la recherche de lui-même. Rongé par la colère, la peur et la culpabilité suite au meurtre de ses parents alors qu’il était enfant, Wayne voyage discrètement, tandis que Gotham City, sa ville natale, est peu à peu dévorée par la criminalité et la corruption. Au fil de ses pérégrinations, il tombe sur Ra’s Al Ghul, un homme mystérieux, qui lui propose de l’entrainer en vue de rejoindre un obscur groupe de justiciers. Bruce Wayne devra affronter ses propres démons avant d’envisager de combattre ceux qui grouillent dans les basfonds d’une société en perdition. Un cheminement intérieur difficile commence pour Wayne qui, en plus d’acquérir de nouvelles facultés, va peu à peu échafauder un plan pour combattre le crime…

La Critique :
Lorsque les chemins de Batman et de Christopher Nolan se croisent, le premier n’est plus qu’un pantin disco éreinté par un Joel Schumacher en roue libre et le second un cinéaste qui monte et qui s’attaque à son premier blockbuster. Tout deux vont beaucoup gagner dans cette union qui, avec le recul, paraît évidente. Il y a des choses comme ça qui semblent destinées à se rencontrer. La mayonnaise et les frites, la vodka et le jus d’orange, Johnny Cash et Rick Rubin et donc Christopher Nolan et Batman.
Joel Schumacher n’a pas été tendre avec Batman. Relativement chien fou mais s’auto-censurant encore un tout petit peu, il livre avec Batman Forever une relecture décomplexée et fluo, qui jure grandement avec la vision gothique de Tim Burton. Du coup, la différence entre Batman Returns et Batman Forever est à peu près la même que celle qui sépare Abba, d’Alice Cooper. Avec Batman & Robin, Schumacher met plein gaz sur discoland, sort la boule à facette, fait de Batman une espèce de gros blaireau à la ramasse et de Gotham City, une boite de nuit à ciel ouvert. Rien ne semble plus pouvoir sauver l’homme chauve-souris du naufrage. La mise à mort du mythe crée par Bob Kane et Bill Finger pique les yeux et serre le palpitant. Tout est fait pour discréditer le héros de Gotham et tous ceux qui l’entourent. Batman n’est plus menaçant. Il est juste comique… Malgré lui.
Et pourtant ! Alors que tout semblait indiquer que ceux qui avaient eu le tort le parapher les pages du contrat qui les reliait à cette purge, n’allaient jamais se relever, il n’en est rien (du moins pas pour tout le monde). George Clooney, qui de son propre aveux, se pense perdu à jamais quand il découvre le produit fini, poursuit une brillante carrière. Batman quant à lui, trouve Christopher Nolan, qui a sa petite idée pour orchestrer le retour fracassant aux affaires du plus crépusculaire des super-héros DC Comics.

Batman Begins fait table rase du passé, pour la bonne cause. Nolan sait très bien que la réussite de son entreprise passera forcement par une reformulation en règle des origines du héros masqué. Son Batman s’inspire donc de trois comics clés : Batman : The Man Who Falls, de Dennis O’Neil et Dick Giordano, qui revient sur la genèse du personnage, avec notamment le meurtre de ses parents, ses voyages et son entrainement avant son retour à Gotham City ; Batman : Année 1, de Frank Miller et David Mazzucchelli, qui s’attarde sur la création par Bruce Wayne de Batman ; et Batman : Un Long Halloween, auquel le film emprunte principalement le personnage de l’Épouvantail, interprété dans le long-métrage par Cillian Murphy.
Batman Begins prend ainsi son temps pour installer un climat. Batman n’apparait pas tout de suite. On assiste dans un premier temps au cheminement de Bruce Wayne, à son entrainement et à sa rencontre avec Ra’s Al Ghul. Le choix même de ce méchant et non du Joker, qui n’interviendra que dans The Dark Knight, dénote d’un refus de facilité de la part de Nolan. Ra’s Al Ghul est certes un grand badguy, mais, tout comme l’Épouvantail, c’est loin d’être le plus connu du grand public. Le désir du réalisateur de ne pas vouloir mettre la charrue avant les bœufs est lisible dans ce choix pour le moins courageux. Nolan assume la direction qu’il souhaite donner à son film. De plus, Ra’s Al Ghul n’est pas un méchant fantasque, mais très sombre. De quoi éloigner un peu plus le justicier de Gotham des dancefloor de Schumacher.

Batman Begins évolue -et ce de manière radicale- en marge des trajectoires habituellement empruntées par les super-héros. À la base, Batman n’est pas un super-héros ordinaire. Le fait même qu’il ne possède pas de super-pouvoir le situe d’emblée dans un univers propre. Plus réaliste et humain. Batman Begins exploite ce côté. Bien que Bruce Wayne soit, via son statut social privilégié, un personnage auquel il est difficile de s’identifier, la condition mortelle de son alter-égo masqué encourage cette identification. Batman est le plus humain des super-héros. Chez Nolan plus que dans tout autre film inspiré du comic.
Il y a fort à parier que le fait ne pas voir Batman dans sa forme définitive ait à l’époque décontenancé les fans. Tim Burton ne s’était pas attardé bien longtemps sur la naissance de Batman. Nolan lui, accorde autant d’importance à Bruce Wayne. Son long-métrage est un conte initiatique sur la peur et son influence sur nos actes. Chez certains, elle débouche sur de mauvaises actions et chez d’autres, sur de bonnes. Chez Nolan, les héros ne sont pas si différents des criminels qu’ils pourchassent. La frontière est mince et son Batman reflète cette vision anti-manichéennes, même si la chauve-souris incarne finalement une forme assez pure de dévotion envers la cause du bien et de la justice. C’est ici qu’on décèle la brillance du scénario de David S. Goyer et de Nolan. Sans apparaître comme un chevalier immaculé, leur Batman accumule les failles, mais ne cède jamais au côté obscur. Néanmoins, il prend conscience de la difficulté de rester lui-même -c’est à dire incorruptible et intègre- dans un monde où la norme encourage le contraire.
Quand il confie le rôle principal à Christian Bale, Nolan fait écho à la personnalité cabossée de Bruce Wayne. Le comédien, connu pour sa grande sensibilité et pour son caractère soupe-au-lait, ne se contente pas d’incarner le milliardaire héroïque, il est Bruce Wayne/Batman. Habité par la psyché de son rôle, Bale s’impose comme une évidence. Physiquement, il encaisse et personnifie avec charisme et puissance le héros et psychologiquement, il se fait le miroir des émotions blessées de Bruce Wayne. Aussi crédible dans la peau d’un playboy fortuné, amateur de femmes et de beuveries, que dans celle d’un protecteur de l’ombre craint de tous, l’acteur est parfait.
Le casting est lui aussi aux petits oignons. Composée d’une galerie impressionnante de gueules, la distribution de ce premier volet fait preuve d’une cohérence admirable. Michael Caine campe avec toute la classe britannique qu’on lui connait un Alfred, à la fois dévoué, imposant et touchant, Gary Oldman, fait des merveilles dans la peau de l’inspecteur Gordon, Liam Neeson est comme souvent impeccable en figure paternelle mystérieuse et autoritaire, Katie Holmes est tout à fait à son aise au milieu de ces figures imposantes, Morgan Freeman, avec toute la malice qui le caractérise, se glisse avec subtilité dans le costard de Lucius Fox, tandis que Cillian Murphy -qui avait au départ auditionné pour le rôle titre- fait un méchant des plus originaux, sous le masque de jute de l’Épouvantail.

Pour ce qui est de la mise en scène et de tous les aspects purement techniques ou cinématographiques, Batman Begins est -sans surprise- un vrai tableau de maitre. Illustré par une photographie léchée et crépusculaire, le film apparait à la fois comme un grand tour de force technique, multipliant les plans mémorables et les images destinées à rester, mais aussi comme une introspection intimiste de la psyché de ses protagonistes. Christopher Nolan était bel et bien l’homme de la situation. Son style se marie à merveille avec les thématiques inhérentes à Batman. Obligatoirement comparé à l’autre réalisateur qui avait su exploiter au mieux l’univers de Kane et Finger, à savoir Tim Burton, Nolan fait le choix de s’éloigner le plus possible des figures imposées. Miraculeusement libre de ses mouvements, le cinéaste peut tranquillement tisser son univers propre et proposer sa version des choses. Sérieux, mais néanmoins traversé ici ou là de quelques vannes bien senties, Batman Begins n’est jamais plombant et toujours passionnant. Bien plus qu’un simple divertissement de masse, Batman Begins est un authentique tour de force. L’une des meilleurs adaptations de comics de l’histoire du septième-art, qui laisse augurer le meilleur pour la suite. The Dark Knight confirmera tout le bien qu’il faut penser de la succession de choix qu’a fait Nolan.
Celui qui replaça Batman dans une réalité sociale difficile, livre non seulement un grand film d’aventure, mais aussi une mise en abîme de la condition humaine en période de crise. Brillant.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Warner Bros.