Ça commence par un déménagement. L'immeuble ou j'emménage est éligible à la fibre optique. « Wah, le pied ! tout ce que tu vas pouvoir télécharger ! tu vas kiffer grave ! » s'exclament les copains. Bof. En réalité, je n'ai pas un usage aussi intensif qu'eux et je m'attends à ne même pas percevoir la différence. En attendant, mon abonnement actuel n'étant pas transférable, j'ai du résilier, renvoyer la Freebox et je n'ai plus Internet depuis mi-mars.
Peut-on encore échapper à Internet ?
Si la plupart se déclarent incapables de vivre sans Internet et craignent l'interruption de service [1], le problème m'apparaît inverse : est-il encore possible d'y échapper dans ce monde arrosé de Wi-Fi ? Je n'ai pas pensé demander à partager la connexion de mes nouveaux voisins de palier, car je capte parfois un réseau au débit inconstant… dont j'ai progressivement pris l'habitude de me passer, à force de déconnexions intempestives.
Comme un soulagement.
Car au début, c'était relaxant. D'autant plus que je n'étais pas pressée de me replonger dans le monde libre du Web, au risque d'avoir à nouveau envie de contribuer, d'y passer mes soirées, aussi passionnement qu'auparavant. J'ai changé d'ordinateur sans y réinstaller d'éditeur de code, ni grand chose d'autre, d'abord par hasard, par flemme, puis par lassitude avérée. Marre de partager, d'être copiée et mal créditée. Grosse fatigue. J'imaginais que ça ne tarderait pas à me manquer, mais les semaines passent et toujours pas une ligne de CSS. J'ai changé de boulot, devenant bien plus consultante que développeuse. Et si je continue d'écrire, je n'ai plus l'envie de publier et mes brouillons d'articles s'accumulent de mois en mois. Peut-être en publierais-je certains rétrospectivement.
En réalité, je ne suis pas totalement privée d'Internet, puisque j'y accède toute la journée, au bureau. Mais justement, ça me suffit, vieille technologique comprise. Pour le reste, je consulte mon courrier électronique perso une fois par jour, sur un petit terminal de poche hyperconnecté, un « smartphone », lequel répond à mes autres besoins en communication, sorties, géolocalisation, etc. C'est précisément pour ça que je l'ai acheté : pour préserver mon usage personnel, pour qu'il reste indépendant et permanent.
Un cocon hors connection
Du coup j'apprécie de rentrer chez moi le soir, dans ce qui est devenu un cocon. Hors connection, aucun risque d'être rattrapée par le boulot, les fâcheux du Web ni autres soucis virtuels ! Je débranche complètement. C'est comme si je partais en vacances chaque soir…
J'ai cultivé ma paresse en terrain domestique, jouant de la perceuse et du tournevis d'électricien, repris goût aux conversations téléphoniques, suis retournée au cinéma, au musée, j'ai bu des coups, passé une nuit blanche à Toulouse avec des lutins — si si, ils se reconnaîtront :) —, découvert et partagé d'excellents restos… sans ressentir le manque d'une connexion. Plusieurs semaines sont passées ainsi avant que je ne songe à en réclamer la mise en service. Et vous ? Combien de temps tenez-vous sans Internet ? Trois jours [2] ? À quel point êtes-vous accro ?
Si vraiment j'avais besoin d'envoyer un message, je le rédigeais au clavier de l'ordi, puis synchronisait le smartphone, pour le récupérer sur le serveur mail et pouvoir l'envoyer le lendemain du bureau via webmail ou aussitôt en 3G. Compliqué. Idem pour les documents. Ce qui me fait définitivement préférer l'IMAP à Dropbox, Google Docs ou n'importe quel autre « cloud ». Et je rêve de compléter ça d'une interface de rédaction utilisable hors connexion comme tout bon client de messagerie, aussi légère et simple, en texte brut, entre DotSPIP et Markdown, multiplaforme, synchronisable, pushable, pour rédiger aussi bien des courriels que des documents textuels ou des billets de blog. Cela existe-t-il ?
Ce qui a commencé à me manquer ? Louer des films en VOD plutôt qu'en DVD. Mouais. Imprimer mes billets de train, encore que l'e-billet suffise. Faire des achats en ligne plutôt qu'en boutique, parce que c'est quand même moins chronophage. Et surtout vos bons billets de blogs, encore qu'ils semblent se raréfier, supplantés par la frénésie des tweets…
Connectée si je veux, quand je veux
Tout allait bien, finalement. Jusqu'à ce que cette expérience de déconnexion volontaire manque de me faire rater l'appel à orateurs de Paris Web — auquel il n'était pas possible de répondre via smartphone. Jusqu'à ce que les plus accros me soupçonnent de mauvaise foi lorsque je ne suis pas au courant d'informations cruciales qui n'ont pourtant été diffusées QUE dans le flux hyper volatile d'IRC ou de twitter, noyées… Allô ? sortez-vous un peu la tête des écrans, les gars ! Jusqu'à ce qu'inversement de bienveillants lecteurs et lectrices m'encourageant à de nouvelles publications. Jusqu'à ce que Free me poursuive soudain pour deux mois « impayés » — et pour cause — à l'ancienne adresse, alors que j'attends l'ouverture de ligne à la nouvelle adresse depuis trois mois ! ceci expliquant peut-être cela et ne laissant rien présager de bon sur le délai de mise en service. Ça commence à bien faire.
Jusqu'à ce que ledit smartphone fasse le mort, achevant de me convaincre que, contrairement à la moitié des utilisateurs qui se disent incapables de passer plus d'une heure sans le consulter, je ne souffre pas encore de nomophobie [3]. À ma grande surprise, ce ne sont pas tant le courriel, ni le téléphone, encore moins les tweets qui m'ont manqués, mais la possibilité de prendre et partager des photos, en particulier via Instagram. Au bout d'une semaine, être privée de smartphone et donc de toute possibilité de communication, est devenu réellement incommodant, mais s'est rapidement réglé par le remplacement de l'appareil défectueux.
Moralité ? La déconnexion n'est appréciable que volontaire et maîtrisée. J'ai maintenant hâte de goûter à la fibre, mais à mon rythme, curieuse de voir si cela suffira à me redonner envie de d'écrire, coder et publier. Car vous commencez à me manquer sérieusement. Je reviens. Mais je me soucie désormais de préserver mon cocon, intéressée par des logiciels comme Freedom qui maintient l'ordi déconnecté plusieurs heures durant et Anti-social qui zappe les Facebook et autres parasites « sociaux », aussi écervelants que chronophages. En connaissez-vous d'autres ? Comment débranchez-vous ?
Il est probable que ma première contribution soit pour passer mon site en mode « vacances » (cf. ticket #2469), afin de pouvoir partir l'esprit tranquille, sans me soucier de modération ni craindre le flot de spams. C'est ma seule urgence. Rester libre.
[1] 78,5 % des Français se déclarent incapables de vivre sans Internet, d'après OTO Research, mars 2012. Et vous ? Êtes-vous addict à internet ?, infographie, mars 2012.
[2]
Trois jours seulement ont passé et je mesure à quel point je suis devenu dépendant du réseau. Dès que je termine d'écrire une phrase ou de saisir trois bouts de code, j'ai tendance à vouloir aller lire mes e-mails ou Twitter. […] En fait, j'utilise même Internet pour savoir le temps qu'il fait dehors plutôt que d'aller voir à la fenêtre. Bien que mon ordinateur contienne énormément de choses –- par exemple tous les e-mails envoyés ou reçus depuis 1998 -–, il me semble subitement inutile et inutilisable dès qu'il n'est plus connecté.
Lire la suite : Trois jours sans connexion, par Jean-no, juin 2012.
[3] La nomophobie désigne la peur excessive d'être séparé de son téléphone mobile ou son accès à Internet. La moitié des utilisateurs se disent accros à leur téléphone mobile et sont angoissés quand leur téléphone est perdu, à court de batterie ou de crédit, ou qu'ils n'ont aucune couverture réseau. Are you addicted to your mobile phone ?, Cash Generator.
Lire aussi :
- Le dernier luxe c'est d'être injoignable : Ces branchés qui débranchent, M le magazine du Monde, avril 2012
- Livre J'ai débranché de Thierry Crouzet : expérience déconnectée d'un homo numericus victime de burn out et voulant être bien dans sa peau
Merci à Fil, Camille, Hugues, Eva et Anthony.