C’est avec ce film absolument superbe de Manoel de Oliveira que cet immense acteur italien a tiré sa révérence cinématographique en 1996. Après une carrière durant laquelle il a endossé des rôles d’une diversité inouïe. Et une vie privée qui n’a que très rarement fait le bonheur des paparazzi.
« La dolce vita » est le film qui lui a toujours collé à la peau. Personne d’autre que Mastroianni ne pouvait camper « Marcello » avec autant de maestria. Federico Fellini ne s’était pas trompé en lui offrant le premier rôle du film qui remporta la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1960. Et qui valut à l’acteur une renommée internationale ainsi que la réputation de « latin lover » dont il s’est toujours autant défendu qu’amusé.
« Un séducteur, moi ? confiait-il lors d’une interview télévisée, Mais j’ai joué les impuissants plus souvent qu’à mon tour ! souvenez-vous, « Le bel Antonio », « Divorce à l’italienne », « Casanova 70 », etc. ou alors j’étais homosexuel (« Une journée particulière ») ou alors je me faisais draguer… C’est vrai que les Italiens s’amusent au jeu de la séduction… dans la rue, à la terrasse d’un café… Mais croyez-moi, si une femme leur propose d’emblée d’aller à l’hôtel, ils prennent la fuite ! Séduire est avant tout un jeu et prendre le temps de s’amuser fait partie des règles. »
C’est Robert Altman qui lui donna, en 1995, l’occasion d’en finir une fois pour toutes avec cette réputation de latin lover : Marcello va tout bonnement s’endormir durant le strip-tease que lui offre Sofia Loren dans « Prêt-à-porter »… Une scène mémorable qui renvoie au film de Vittorio de Sica « Hier, aujourd’hui et demain » où Sofia Loren, toujours elle, s’effeuille devant un Mastroianni alors extrêmement bien éveillé ! C’était une trentaine d’années plus tôt, en 1963. L’acteur a 39 ans et son itinéraire est déjà impressionnant. Il a été dirigé par les plus grands :Visconti, Dassin, Fellini, Antonioni, Louis Malle, Vittorio de Sica (qui, par ailleurs lui donna la réplique dans plusieurs comédies désopilantes durant les années ’50), etc. De Gina Lollobrigida à Sofia Loren en passant par Anita Ekberg, Claudia Cardinale, Monica Viti, Brigitte Bardot, etc. De Vittorio Gasman à Ugo Tognazzi en passant par Jack Lemmon, Gian Maria Volonte, Richard Burton, etc. Marcello Mastroianni a joué avec toutes les stars de l’époque.
Au départ, pourtant, c’est au théâtre qu’il se destine et c’est durant sa carrière qui s’étendra sur dix ans qu’il épouse la comédienne Flora Carabella, en 1948. Il n’en divorce pas lorsqu’il tombe éperdument amoureux de Catherine Deneuve que Nadine Trintignant lui met dans les bras à la faveur de « Ca n’arrive qu’aux autres » en 1971. Franco Ferreri (« Liza ») et Jacques Demy (« L’événement le plus important… » reforment le couple cinématographique qui, entretemps pouponne depuis 1972 la petite Chiara… En 1974, avec « Touche pas à la femme blanche » Ferreri met en boîte le dernier Deneuve-Mastroianni. Le couple se sépare, mais restera toujours très proches. Et Marcello aura le bonheur de jouer avec sa fille dans « Les yeux noirs » de Nikita Mikhalkov, en 1987 et dans « Trois vies et une seule mort » de Raul Ruiz, en 1995.
L’acteur poursuit sa carrière, enchaîne les tournages, infatigable car taraudé par le besoin de changer de peau. « Comme la plupart des acteurs, je suis timide, m’accrocher à un personnage m’aide, m’enrichit moralement, me donne davantage de force pour me positionner dans la vie… ». D’où ces rôles difficiles, risqués, parfois aux antipodes les uns des autres dans lesquels il s’est investi. « La nuit » d’Antonioni, « L’Etranger » de Visconti, « Drames de la jalousie » et « Les yeux noirs » pour lesquels il reçoit le Prix d’Interprétation à Cannes en 1970 et en 1987. Films d’auteurs, films engagés, films de provocation, parfois, comme le tant décrié « Le grande bouffe » de Marco Ferreri tourné à Paris avec Michel Piccoli, Philippe Noiret… A Paris, toujours, « Salut l’artiste » de Yves Robert, le seul film français dont Marcello Mastroianni a dit, en 1976, « être fier »…
Marcello Mastroianni a tourné jusqu’à la fin de sa vie. Vie qu’il a toujours prise comme elle venait avec, selon les circonstances, une apparente légèreté, une gravité élégante et cette touche de nonchalante mélancolie qui faisait son charme. Quand il est mort à Paris le 19 décembre 1996, la Ville de Rome a imposé silence à la fontaine de Trevi, en signe de deuil. Ses eaux ont cessé de couler comme dans la « Dolce Vita » lorsqu’il a rejoint Anita Ekberg pour entrer dans l’Histoire du Cinéma.