Le qwankido est un art martial qui ne fait pas énormément parler de lui dans l’univers des arts martiaux. Pourtant ses qualités en font l’un des kungfu les plus intéressants et plus solides de par la diversité de ses influences. Comme tous les arts martiaux, il existe une histoire fondatrice plus ou moins teintée de légende, mais ici la discipline est suffisamment récente pour être trop déformée.
Remontons tout d’abord dans le temps. Les arts martiaux vietnamiens apparaissent plus ou moins en 2500 av. J-C, sous la dynastie des Hung de Vuong. Mais ils se développent fortement à la fois au contact des chinois et en réaction à l’invasion de ceux-ci. En effet, la Chine des Han envahit le royaume du Champâ (en Annam) en 111 av. J-C. Cette occupation durera jusqu’en 981, soit plus de 1000 ans plus tard, ce qui est sans doute le plus long règne d’une puissance étrangère sur un pays dans toute l’histoire de l’humanité. De cette situation, les arts martiaux vietnamiens seront orientés vers des formes dures et combattives, d’autant plus que les habitants avaient interdiction de s’armer. Le corps et les instruments agraires devinrent les seules armes possibles et l’on peut dresser ici un parallèle avec l’histoire d’Okinawa.
Les chinois ont donc toujours fait partie de l’histoire et du paysage vietnamien. On les retrouvera comme acteurs majeurs de l’économie du pays sous l’occupation française de l’Indochine, et encore aujourd’hui dans le Viêtnam actuel. De plus, le nord du Viêtnam et le Sud de la Chine ont plusieurs ethnies montagnardes communes. Mais celle qui concerne l’histoire du qwankido est une ethnie chinoise très répandue à travers le monde en raison de son sens des affaires et de son ancestral goût pour le voyage commercial : les Hakka. Situés dans les provinces chinoises du Guandong, Fujian, Jiangxi et Guangxi, on les retrouve aussi dans le Hunan, Guizhou et Sichuan, soit toutes les provinces du sud, notamment côtières. Ils furent à l’origine des échanges maritimes avec Okinawa, Taïwan, le sud du Japon et bien entendu le sud-est asiatique. Cette population a donné à la fois de grands marchands, généraux et tailleurs de pierres, surtout précieuses comme le jade. Son avantage : avoir une langue bien à elle qui est très différente du cantonais par exemple.
C’est dans la province du Guangdong (capitale régionale Canton) que naquit Châu Quan Ky, de l’ethnie Hakka, en l’an 1895. Son père décède lorsqu’il est jeune et il sera confié à son oncle, qui était prêtre taoïste. Comme tous les prêtres taoïstes digne de ce nom, celui-ci pratique les arts martiaux et le jeune Châu Quan Ky montre des qualités à la pratique martiale. Il surprend son entourage par son niveau technique et il va continuer à chercher par lui-même à développer son art. Parallèlement, il devient acupuncteur et herboriste, soignant les gens à travers la région. Une fois encore, on notera le parallèle entre arts de santé et arts martiaux. En 1936, alors que la Chine est colonisée et que l’invasion japonaise menace, Châu Quan Ky passe au Viêtnam via Hong-Kong. Il s’installe dans la ville de Trà Vinh, dans le sud du pays. Ce choix n’est pas un hasard car dans cette ville réside déjà une grosse communauté chinoise composée de nombreux Hakka. Il se fait rapidement une réputation de médecin sérieux et efficace. C’est là qu’au cours d’un fête locale a lieu une démonstration d’arts martiaux au sein de la communauté chinoise. Le spectacle est de piètre qualité et pour ne pas perdre la face, l’organisateur demande à Châu Quan Ky de bien vouloir montrer son art. Réticent, il passe alors quelques minutes à faire une démonstration qui émerveillera l’assistance. Deux démonstrateurs précédents lui lancent un défi en doutant de son efficacité. Ils seront mis hors combat en quelques minutes. De là, plusieurs chinois lui demandent de devenir ses disciples. C’est ainsi que Châu Quan Ky débutera l’enseignement, mais uniquement pour les chinois et non pas pour les vietnamiens. En 1956, il s’installe dans le quartier très chinois de Cho Lon, à Saïgon. A la demande de la communauté, il deviendra également maître taoïste et s’occupera d’un temple. En 1958, il créé à Phu Nhan le premier vo duong (dojo) du style de la Griffe du tigre et de la grue blanche et se fait naturaliser vietnamien. En tant qu’herboriste, il passe aussi de longues heures à marcher dans les campagnes à chercher des herbes ou à soigner les gens.
Lors de l’une de ses excursions dans la campagne du sud Viêtnam, il est surpris par un orage tropical. Il tente en vain de protéger ses plantes médicinales qu’il transporte avec lui. C’est là qu’une voix d’enfant attire son attention. Cet enfant lui fait signe de venir se mettre à l’abri chez lui. Il n’a que 10 ans. Il s’appelle Pham Xuân Tong. Touché par ce geste, il demande à ses parents de lui confier cet enfant pour lui enseigner ce qu’il sait des arts martiaux, s’il peut supporter l’entraînement. L’accord est passé et le médecin rentre avec un tout jeune garçon à Saïgon.
Pour le jeune Pham Xuân Tong les années qui viennent vont être très dures. De 10 à 12 ans, il n’étudiera que les postures de base et quelques techniques simples. A 14 ans, il doit s’entraîner 4 heures par jour. A 19 ans, il gagne la plupart des tournois d’arts martiaux locaux. A 20 ans, il abandonne la compétition pour faire des études plus poussées et devenir comme son maître, acupuncteur, herboriste, masseur et médecin traditionnelle. Mais pour ses études, il souhaite partir à l’étranger afin d’améliorer ses connaissances. Il ira en France.
En 1967, maître Châu Quan Ky tombe malade. Sentant son heure venir, il rédige un testament où il lègue son école (Shaolin Wo Mei Ho Hac Trao)et son art au jeune Pham Xuân Tong. Ainsi l’art martial chinois devient vietnamien. Il mourra peu de temps après d’une hémorragie cérébrale à l’hôpital Cho Rây de Saïgon. Celui qui s’appelle désormais maître Pham Xuân Tong repart en France après l’enterrement, en 1968, en pleine révolution hippie, pour faire son service militaire et poursuivre ses études supérieures.
Maître Tong commence à enseigner les arts martiaux dans le sud de la France dès 1968 à La Seyne sur Mer (83). Très vite son style fait de nombreux adeptes. En 1969 en France, les arts martiaux sont essentiellement constitués de styles japonais (judo, karaté, aïkido). Maître Tong valide un grade de 2e dan auprès de l'Union Française de Karaté. Au mois de Décembre, c'est la première réunion historique des Maîtres Vietnamiens en France. En 1970, il se rend à Paris pour effectuer sa première démonstration, à la demande de Son Excellence l'Ambassadeur du Sud-Vietnam lors de l'accueil de la Délégation Gouvernementale (table ronde pour la paix). En 1972, il obtient son Brevet d'Etat en option Karaté; Et il participe à la création de l'Association Nationale de Kung Fu Kempo. Deux livres sont édités par Dan France Paris : Viet Vo Dao Kung Fu, Bâton Long. C'est en 1973 qu'il fera partie du regroupement des maîtres vietnamiens et deviendra l'un des cinq fondateurs de la Fédération Française de Viet Vo Dao. En 1977, lors du Congrès des Maîtres Vietnamiens à l'étranger, à Limoges, il obtient le grade et le titre d'Expert International 7e Dang. C’est en 1981 qu’il renomme son art Qwankido (Quan Khi Dao), soit la voie du poing et de l’énergie. Toujours vivant, ce maître d’envergure parcourt le monde et se rend régulièrement en France et en Belgique où il a donné un cours au mois de juin dernier à Bruxelles.
Si le Qwankido est un art martial vietnamien, il ne faut pas oublier que ses racines sont bien chinoises. On peut distinguer trois grandes influences :
- L’Ecole SHAO LIN ou TIEU LAM, dans laquelle se retrouve une grande variété de techniques, dont de nombreux coups de pied sautés ou encore les techniques de CHIN NA ou CAM NA.
- L’Ecole WO MEI ou NGA MI, de la montagne Wo Mei Shan, regroupe de nombreuses techniques de saisie et de projection, ainsi que les techniques basées sur l’observation des animaux.
- Enfin, l’Ecole TANG LANG ou DUONG LANG, caractéristique du sud de la Chine et de l’ethnie Hakka, est basée sur l’imitation de la mante religieuse, avec des attaques rapides des membres supérieurs, visant à percuter les points vitaux, ainsi qu’à luxer les différentes articulations.
Mais le Viêtnam a également laissé sa marque dans l’élaboration de cet art. Son entraînement laisse la part belle au combat libre, à l’utilisation des ciseaux volants (typique des arts martiaux vietnamiens), aux coudes et aux genoux, sans oublier les tibias. Mais curieusement, les low-kick sont proscrits. Les armes utilisées sont le bâton long (bong), le double bâton court (tien bong), le manche de la meule à grains (moc can), le nunchaku, le triple nunchaku, la serpe (équivalent de la kama), et bien d’autres. Dans tous les cas, le Qwankido a réalisé une parfaite synthèse entre les arts chinois et vietnamiens grâce au travail de 25 ans de recherche. Pour ceux qui désirent aujourd’hui aborder les deux cultures à la fois, tout en étudiant des styles de combats zoomorphes, le Qwankido est la réponse la plus complète que l’on puisse trouver.