Comment ne pas applaudir au succès de Métronome ? Animé d’une vraie passion pour l’histoire, Lorànt Deutsch ne réussit-il pas avec sa gouaille là où les historiens échouent : rendre l’histoire accessible à tous en proposant un récit englobant deux mille ans d’histoire de Paris ?
Sauf que l’acteur, qui prétend remettre de l’ordre dans une histoire qu’il estime «déséquilibrée» (1), ne cesse d’étonner par ses choix. Il donne ainsi - entre autres - une place prépondérante aux rois et aux saints catholiques dans son récit, auxquels il oppose un peuple informe, jamais individualisé, destructeur, à l’image des révolutionnaires de l’An II (2). Pour célébrer ses héros couronnés, tout est bon à Lorànt Deutsch, y compris tordre la réalité. Le Louvre aurait été ainsi construit par le père de Clovis alors qu’il a été bâti sept siècles plus tard.
Pinaillage, nous répondra-t-on ! Non, car ce recours à l’invention par un auteur sans doute aveuglé par ses convictions catholiques et royalistes (3) interroge les limites de l’Histoire. Si elle ne peut (et ne doit) pas être l’apanage des seuls historiens, si elle doit être vulgarisée, il est essentiel qu’elle obéisse à certaines règles scientifiques, dont la lecture et la critique des sources (presque jamais citées dans Métronome) restent la clef. Faire fi de ce principe, c’est laisser la porte ouverte à toutes les réécritures.
Métronome a bénéficié d’une absence totale de critiques. Ignoré par la plupart des spécialistes peu enclins à verser (faute de temps, de volonté, d’accès aux médias) dans l’exercice difficile de la vulgarisation, adoubé par des responsables politiques et scolaires - Lorànt Deutsch, se prétendant historien (4), est intervenu plusieurs fois devant des classes -, ce livre est en passe de faire autorité pour ses millions de lecteurs, autorité qu’il est de plus en plus difficile de remettre en cause depuis son adaptation télévisuelle en avril 2012 sur une chaîne de service public. L’analyse ne serait en effet pas complète sans envisager Métronome pour ce qu’il est : un produit de consommation de masse, décliné sur plusieurs supports (écrit, audiovisuel, multimédia) dans lequel deux grands groupes industriels (France Télévision et la RATP) ont investi massivement et dont ils espèrent des retombées. Cela a un goût de déjà-vu si l’on regarde la querelle opposant en 1979 Pierre Vidal-Naquet à Bernard-Henri Lévy.
Mais le contexte a bien changé. A une époque où des menaces fortes pèsent sur les services publics de l’éducation et de l’université, Métronome est symptomatique d’une histoire qui se voudrait immédiatement rentable, purement utilitaire et, en fin de compte, privatisée, où celui qui possède des moyens financiers conséquents impose un point de vue à l’ensemble du public, où la forme, inspirée des techniques du marketing et du storytelling, importe plus que le fond.
Les auteurs Franck Ferrand et Dimitri Casali, mais aussi Patrick Buisson (président de la chaîne Histoire, propriété du groupe TF1) concourent tous à ce mouvement qui voudrait que l’Histoire se fige dans un réflexe identitaire crispé, dans la consommation d’images d’Epinal toujours plus lucrative que l’invitation à la réflexion historique, indispensable la construction d’une société de citoyens libres.
(1) Interview de Lorànt Deutsch au «Nouvel Observateur» le 3 décembre 2011.
(2) L’épisode est sans cesse cité par l’acteur. Lorànt Deutsch, «Métronome», pages 49, 53, 108, 128, 139.
(3) Interview de Lorànt Deutsch au «Figaro» le 5 mars 2011.
(4) «Métronome», op. cit., page 10.