Longtemps tenue pour mauvaise nourriture ou réservée à la pharmacie ("Le suc rouge et cru de betterave, tiré par le nez le débouche, et en soulage les ulcères. La betterave cuite lâche le ventre, soit qu'on la mange en salade, soit au beurre" Philippe Hecquet "Médecine, chirurgie et pharmacie des pauvres"), la betterave rouge gagne aujourd'hui haut la main les compétitions antioxidantes,
elle est devenue une panacée ("Ferric Reducing Antioxidant Power was ranked in the following decreasing order 1 beet root 2 red radish 3 small onion 4 turnip 5 potato 6 white radish 7 big onion 8 carrot of methanolic extracts." - Comparitive study on antioxidant activity of organic and conventionally grown roots and tubers vegetables of India. E. Journal of Environmental, Agricultural and Food Chemistry 2012 Vol. 11 No. 2 pp. 136-147
Elle détruit les tumeurs ("Beetroot red (betanin) inhibits vinyl carbamate- and benzo(a)pyrene-induced lung tumorigenesis through apoptosis"), son jus se vend une fortune.
Il faut dire que ce légume pousse sous toutes les latitudes, se transporte et se conserve sans problème, ce qui mérite bien quelques publications.
Quelle sauce pour la salade de betterave rouge ?
A l'origine cultivée en Allemagne, la betterave rouge est décrite tardivement, en 1543 chez Angelo Paglia,
et c'est en 1554 qu'on trouve la première recette écrite de betterave rouge chez Pietro Andrea Matthioli dans son commentaire de Dioscoride, texte latin traduit en français par Du Pinet (que je mets à jour) :
"En Allemagne, il y a des betteraves qui sont rouges ["Rotermangolt"], feuilles et racines, grosses comme des raves, et si rouges que leur jus est comme du sang. Les allemands mangent leurs racines en hiver, cuites dans les cendres chaudes de la cuisinière puis pelées, en salade avec du poivre comme on fait des carottes et ils leur trouvent meilleur goût que les carottes."
Cette recette diffère des recettes traditionnelles de carotte par la cuisson et la simplicité de l'assaisonnement (la carotte se mangeait crue ou se faisait bouillir puis "confire avec coriandre, vinaigre, poivre, oignons et autres semblables - contre la froidure du nez, douleur du dos et des reins et excite à plus charnelle copulation " Vincent Sertenas, 1561)
"En Allemagne.. on l'appelle Mangoldwürzel, (racine de disette). Je me servirai toujours de cette dénomination, parce qu'elle est traduite littéralement, .. on pourrait aussi la nommer Racine d'abondance.. on ferait connaitre une des principales propriétés de cette plante, qui est de réussir constamment et de donner de grands produits lors même que le reste des légumes et fourrages manque." (Abbé Commerell, Mémoire et instruction sur la culture de la Betterave) 1788
En 1489 André Félibien (Description de l'abbaye de la Trappe) avait déjà donné à propos des betteraves blanches la version simplifiée de la vinaigrette monacale sans huile pour certains : "Lors qu'on leur sert des bettes-raves, j'ai remarqué qu'on présente de l'huile dans une écuelle à chaque Religieux et quelques-uns en prennent un peu dans leur cuiller, d'autres se contentent de les manger seulement avec le sel et le vinaigre."
et en 1557 l'Histoire des plantes donne la recette sans sel : "la racine de bette-rouge romaine … cuite et mangée avec huile et vinaigre avant les autres viandes et parfois aussi avec poivre comme les pastenades (carottes blanches) communes est bonne" (Charles de L'Écluse)
Chaude ou froide ? nul ne sait.
Comme souvent la recette donnée par les premiers introducteurs reste longtemps associée au légume (un végétal sans mode d'emploi est invendable).
Il est vrai que la cuisson à la cendre est la meilleure (la cuisson à l'eau, ou à la vapeur ne change rien au gout) … bien que le micro onde 350W avance depuis peu des arguments puissants.
Il faudra attendre le Dictionnaire Universel, d'Antoine Furetière, fin XVIIéme, pour trouver une recette manifestement chaude de betterave rouge en "fricassée avec des câpres, de l'huile, du beurre, etc."
Le vinaigre : préférez un Jerez Reserva, éviter le balsamique trop boisé
L'huile : d'olive et douce
La bonne idée : mettre dans la sauce une goutte d'eau de fleur d'oranger, pas facile à distinguer elle apporte une élégance
Le sel : n'apporte rien, c'est le vinaigre qui fait le travail
Le poivre : blanc, pour bien le voir sur le rouge.