Le changement, finalement, c’est peut-être maintenant. Pas au niveau gouvernemental, entendons-nous bien : là, on y continue la même politique de petites bidouilles à la marge déjà opérée du temps de Sarkozy, avec l’impératif absolu de ne surtout pas toucher aux dépenses. En revanche, pour les habituels gangs de pleureuses de la République, l’arrivée de la gauche au pouvoir rebat les cartes et rouvre d’intéressantes perspectives.
Et c’est un commando de poètes et d’auteurs pétris de malheur qui ouvre le bal.
« Madame la ministre, nous sommes inquiets » titre avec alarme un article du Nouvel Observateur publiant la lettre ouverte de ce groupe destiné à Orélifilipéti, l’actuelle titulaire du hochet ministériel pour la culture, la communication, la tenue des obituaires, les félicitations gouvernementales françaises sucrées et toutes les autres billevesées froufroutantes que le contribuable s’étonne tous les jours de payer.
La cause de l’inquiétude ? La réforme, jugée cavalière par les auteurs de la lettre, du Centre National du Livre.
Comme vous ne savez pas ce qu’est ce Centre, que vous n’aviez probablement même pas idée que vos impôts finançaient ce machin, il m’est indispensable de revenir un peu dessus : il s’agit d’un organisme qui est chargé de répartir aussi bien que possible les aides publiques pour l’écrit, de la création à la diffusion. Parce que voyez-vous, en France, l’écrit se porte mal. Mais si. Ayant pour mission officielle d’asperger généreusement l’activité littéraire des écrivains français avec l’argent du contribuable sous forme de bourses, de prêts d’honneur, de subventions et tous les moyens rigolos qui peuvent bien exister pour transférer du pognon des poches de gens bêtes, analphabètes, aux goûts frustres vers celle de gens raffinés et cultivés, le CNL s’est bien évidemment empressé d’encourager toutes les foutaises écrites tous les modes « d’expression littéraire », avec différentes Commissions (comme d’habitude) remplies de titulaires joyeux, réparties par disciplines : théâtre, roman, poésie, BD, économie numérique, j’en passe et probablement des plus amusantes.
Oui, cher lecteur, contribuable, pourceau bon à trimer : l’argent que tu gagnes part, en partie, dans ces commissions et ces subventions pour aider les poètes. Et si, lecteur-contribuable, tu imaginais encore que faire de la poésie ne demandait pas plus qu’un vague bout de crayon et une feuille blanche, objets quasi-gratuits dans notre société, tu te trompes : s’il n’y avait pas toute cette belle machinerie, tous ces beaux sprinklers d’argent frais, la poésie en France aurait disparu totalement et ne subsisterait que le rap et les haïkus de Van Rompuy.
Revenons à la lettre, écrite du reste avec un style particulièrement fouillis par une flopée d’illustres inconnus et signée par une cohorte d’anonymes réputés : passé les premières minutes de confusion lorsqu’il s’agit d’en comprendre un peu le but, on découvre, au milieu de perles comme : …
S’efforçant d’interroger le cœur même du langage et d’agencer les données du monde, la poésie a souvent joué un rôle essentiel dans l’aventure de la modernité, et non seulement dans l’histoire de l’art
… et d’envolées lyriques assez compliquées pour demander plusieurs relectures attentives, langue sortie et doigt glissant sous les mots, on découvre donc une longue et pénible complainte sur les méchancetés qui sont faites aux auteurs et l’absolue nécessité pour la ministre d’intervenir rapidement, d’autant que nos auteurs maudits sont, je cite :
Convaincus que l’action publique décide de l’avenir du livre et de la littérature dans la vie des citoyens
La stupéfaction est complète lorsqu’on apprend, par la bande, qu’il y a bel et bien des crédits alloués à la poésie, et (rassurez vous !) ils ne diminueront pas, contrairement à ce que laisserait penser cette jolie bande de paniquards : Jean-François Colosimo (non, ce n’est pas un paquet Poste) assure que les crédits alloués ne seront pas réduits.
Une question me vient à l’esprit : puisqu’il existe un Centre National du Livre qui injecte des thunes pour de la belle ponésie qui fouette, à quand un Centre National de l’Aquarelle ou, mieux encore, une Haute Autorité du Coloriage par Numéro ? On imaginerait ensuite sans mal les cérémonies officielles récompensant (par la Légion d’Honneur, au moins) les Aquarellistes Officiels de la République, ou la Garde Républicaine des Numérocolorieur…
Et pendant que le Livre vit, à en croire nos poètes sous absinthe en overdose de subventions, ses dernières heures (forcément sombres), on assiste au tsunami de larmes d’un autre groupe maltraité par les institutions publiques : cette fois, il s’agit des personnels dits précaires, dans la recherche et l’enseignement supérieur. À nouveau, l’originalité de la démarche frappe de plein fouet avec une Lettre Ouverte d’un collectif de précaires et d’associations syndicales, qui sont montés au créneau avec une belle synchronisation sur le calendrier républicain puisqu’ils auront attendu que le nouveau gouvernement soit fraîchement nommé.
Quel est le problème qui provoque ces vagues de tristesse humide et salée ?
En version syndicale, on obtient ceci : les institutions de recherche et d’enseignement supérieur emploient des gens (chercheurs, ingénieurs, etc…) en leur faisant enfiler CDD (contrats à durée déterminée) sur CDD. C’est vilain. Vite, faisons une loi qui impose qu’après plusieurs CDD, le contrat suivant sera à durée indéterminée (CDI) ! Ce sera la Loi Sauvadet, votée en mars dernier. Manque de bol, les institutions s’adaptent à la nouvelle donne (salauds de capitalistes… de … salauds !) et virent maintenant les gens avant la barre fatidique, imposée par la loi, de 6 ans en CDD pour s’éviter un CDI qui rend la masse salariale d’un coup moins flexible. Et quand les gens ne sont pas virés, ils sont déplacés d’une institution à l’autre, ce qui remet le compteur à zéro. Conclusion : il faut faire une nouvelle loi, par exemple en autorisant le cumul des anciennetés d’une institution à l’autre.
Don’t you see a pattern, here ?
En réalité, on se rend compte que si les institutions ne faisaient pas de CDI en premier lieu, c’est essentiellement parce que tout nouveau CDI vient en concurrence d’un poste de titulaire et que le budget correspondant doit être récupéré, tous les ans, auprès d’une Agence Nationale de la Recherche qui est plutôt réticente au principe. Exit le CDI et ses lourdeurs, reste le CDD. Le fait d’imposer une transformation du CDD en CDI après un certain nombre d’années ne résout en rien le problème initial. Et le fait de modifier la façon dont on va compter cette ancienneté non plus.
Il eut été plus simple de réclamer une vraie souplesse d’embauche et de fin de contrat dans le domaine de la recherche qui marche encore un peu grâce au mérite. Mais non : en pratique, entre les syndicats qui veulent un bon gros plan de création de postes de fonctionnaires par paquets de mille, et les associations diverses et variées qui réclament entre autre l’abrogation de la loi et la contractualisation ou la titularisation rapide et réconfortante d’un maximum de monde, on comprend qu’il s’agit encore d’ouvrir le robinet à argent gratuit.
Oui, vraiment, pas de doute : on sent que c’est la gauche qui vient d’arriver et quelques groupes ont déjà compris qu’il ne faut pas traîner à réclamer sa part de la gamelle, tant le nombre d’affamés va grossir, notamment après les vacances.