Magazine Journal intime
Plus que de sons, les images sont devenues alors ma façon de transcender le réel. Cet homme était alors le sommet de mes désirs. Sans doute qu'avec lui, il ne s'est rien passé. Il est resté, là, tapi dans une mémoire fouillée de spectres dépassés. Sans doute la passion s'est-elle éteinte aussi rapidement qu'elle est venue : le corps n'avait plus de raison de devenir vrai. Je ne peux m'empêcher de penser les corps - et je sais que l'écrire ici est impudique. La médiocrité des corps, ces peaux distendues, appartiennent à un monde que je refuse de voir. Il me faut les épaules larges de l'un, le ventre chaud et lisse d'un autre. Ils construisent, par un grain de beauté, par un poil blanc disséminé dans la barbe, le fil de ma mémoire à tel point que je me souviens des corps avec une précision grandissante. L'été tarde à venir et le sépia teinte ces images, justement. Nous présumions de nos forces, en juin, lorsque nous attendions la pluie. Et maintenant que la terre baigne dans une eau troublée par les giboulées, il nous faudrait plus de soleil. Pauvres humains. Il nous faudrait presque de ces lumières aveuglantes qui empêche d'avancer correctement sous peine d'être ébloui. De tant de beauté. De tant de corps. Avidement dessinés. Avidement photographiés. Ces nuques.